Je ne vais plus très souvent au cinéma malheureusement. L'occasion s'est tout de même présentée cette semaine, pour un film dont je craignais qu'il disparaisse rapidement des écrans new yorkais et soit introuvable pendant longtemps sur internet ou les chaines cablées. Il s'agit de "The gatekeepers", un film documentaire israélien réalisé à partir d'entretiens avec six anciens directeurs du Shin Bet, les services de renseignements intérieurs d'Israel. Très bien monté, enchainant images d'archives et images des interviewés, the Gatekeepers condense en moins de deux heures de nombreux moments forts de l'histoire israélo-palestinienne, en particulier l'assassinat d'Itzhak Rabin en 1995, qui fait figure de cassure majeure. Le verdict délivré par ceux qui ont consacré leur vie à défendre la sécurité d'Israel et qu'on ne peut pas soupconner de mollesse ni de moralisme (il y a d'ailleurs un passage fort intéressant sur l'usage de la torture et l'ordre donné d'achever des suspects ) est unanime: la politique d'occupation est une impasse; Israel gagne des batailles mais perd(ra) la guerre... A voir, si vous pouvez. http://www.thegatekeepersfilm.com/
J'ai vu également un autre film, d'un genre bien différent, mais qui s'attaque aussi à des sujets lourds et fait réfléchir: Flight, où le rôle principal est tenu par un Denzel Washington époustouflant dans son incarnation d'un pilote hors pair mais abîmé dans l'alcool. Il réussit l'impossible, faire atterrir un avion dans des conditions catastrophiques en dépit ou peut-être parce qu'il est sous le double effet de l'alcool et de la cocaine, qui lui donnent un contrôle quasi surhumain de la situation. Whip, c'est son nom, est donc un héros, mais c'est aussi un criminel ayant bafoué la confiance publique comme il le reconnait in fine, puisqu'il a pris les manettes dans un état complet d'intoxication. Tout le film tient dans la tension complexe et la bataille qui se jouent en lui. L'alcool l'emprisonne et le fait sombrer ; son orgueil l'empêche d'admettre son état ; l'alcool l'aide à vivre dans l'illusion et le mensonge. Les autres tournent autour, le manipulent ou l'utilisent, hormis les femmes amies ou amantes. Celles-ci tentent de l'aider mais sont obligées de renoncer et passent leur chemin. C'est d'ailleurs la mort de l'une d'elles dans le crash qui, lors de l'interrogatoire conduit par la commission de la sécurité des transports, devient un cas de conscience qu'il doit affronter. Le déclic qui se fait en lui l'affranchit et le condamne simultanément. Il se retrouve sous les verrous physiques d'un pénitencier, délivré du mensonge et de l'alcoolisme, âme accablée mais libre. http://www.paramount.com/flight/
Blog de réflexions personnelles et de notes de lecture. L' intranquille est aussi un journal de bord intérieur, entre pérégrinations et rêves, et une manière de partager des nourritures intellectuelles, artistiques et affectives, une manière de voir le quotidien autrement et chemin faisant, laisser la trace des jours qui passent.
dimanche 10 février 2013
dimanche 3 février 2013
Est-Ouest
Edward Said, grand intellectuel palestinien américain, mais aussi mélomane et musicien, a disparu il y aura dix ans en septembre. L'université de Columbia à New York, où il enseigna longtemps, a commencé les diverses commémorations qui lui seront consacrées au long de cette année et c'est à ce titre que j'ai eu la chance vendredi soir d'assister à une conférence concert organisée autour de Daniel Barenboim - qui fut un grand ami d'Edward Said - et de l'orchestre du divan Est-ouest qu'ils ont créé ensemble en 1999, réunissant des musiciens israéliens et des musiciens arabes. Daniel Barenboim est non seulement un génie musical et un esprit pénétrant, mais a aussi des talents oratoires. Il nous a raconté avec un plaisir non dissimulé les origines de cette entreprise - qui a pris sa source en Allemagne, à Weimar, lors d'une conversation de Daniel Barenboim avec celui qui était l'organisateur de la programmation culturelle de l'année Weimar capitale de l'Europe (cette année c'est Marseille). Le directeur culturel en question souhaitait refléter dans sa programmation l'idée d'un dialogue et d'une tension entre le meilleur et le pire de l'histoire de Weimar - Goethe, qui y est né, et Buchenwald, camp de concentration situé non loin de la ville. L'art n'est-il pas d'ailleurs jailli d'une telle tension, d'un élan vital pour échapper au pire, nous en sauver et le conjurer? Toujours est-il qu'inspiré par Goethe et son divan oriental occidental, et avec le soutien de son ami Edward Said, Daniel Barenboim est parti à la recherche de talents musicaux dans les pays arabes - dont il n'avait pas la moindre idée - pour les associer aux musiciens israéliens qu'il connaissait déjà. C'est à travers le réseau des instituts Goethe que la sélection s'est faite. Lors de la première rencontre, le groupe arabe comportait plusieurs syriens - ce qui n'a pas laissé d'intriguer le maestro, étonné à juste titre que de jeunes syriens aient pu être autorisés à participer à un projet avec des israéliens dans le contexte d'hostilité officielle entre les deux pays, et la ligne intransigeante du maitre de Damas (Hafez al-Assad, à l'époque). La réponse tient à une rencontre que Barenboim avait fait des années auparavant, à Prague, avec un jeune musicien syrien sur lequel il avait fait forte impression. Devenu directeur du conservatoire en Syrie, ce musicien a tout de suite compris l'importance de l'initiative et encouragé ses élèves à s'y rendre - "humainement et musicalement, il faut y aller", leur a-t-il sans doute dit. Il a aussi fait le nécessaire sur le plan administratif pour faciliter leur sortie, en particulier en omettant que le projet musical en Allemagne impliquerait de collaborer avec des "ennemis". La musique, dans ce contexte, devient un dialogue intense non seulement entre les sons eux-mêmes, mais entre les êtres qui les produisent, et entre l'oeuvre interprétée et le monde autour, élargissant les frontières du réel au point parfois de le transformer, ne serait qu'en un instant incandescent d'harmonie. C'est une incarnation de cette harmonie, source profonde de joie, qui nous a été offerte vendredi soir - dans le dialogue des musiciens arabes et israéliens interpretant Boulez sous la direction de Barenboim, et à travers une interprétation émouvante de la truite de Schubert - dans sa transcription pour quintet avec piano. Barenboim au piano, était tout en dialogue avec son fils, au violon, mais aussi avec ses jeunes musiciens qui eux-mêmes étaient en connivence. Plusieurs cercles concentriques. Je n'en suis pas restée là- le lendemain, Nour et moi avons encore eu la grande chance d'entendre l'orchestre cette fois au complet, à Carnegie Hall, pour un concert mémorable: symphonies No.2 et No.9 de Beethoven. La neuvième en concert, c'est...bouleversant! Chaque mouvement est plus extraordinaire que le précédent - l'intériorité de la musique est en miroir de son intensité sonore. Le troisième mouvement, contemplatif, est d'une beauté mystique, et aboutit à l'apothéose du quatrième mouvement avec choeur, où la jubilation vient à la fois de la force physique de l'orchestre, majestueusement augmenté d'un choeur nombreux, et de l'harmonie des musiciens unis dans une vibration quasi divine....
Nord, Ouest et Sud volent en éclats,
Les trônes se brisent, les empires tremblent:
sauve-toi....
[...]
Wer sich selbst und andre kennt,
Wird auch hier erkennen :
Orient und Occident
Sind nicht mehr zu trennen.
Sinnig zwischen beiden Welten
Sich zu wiegen, lass’ ich gelten ;
Also zwischen Ost- und Westen
Sich bewegen, sei’s zum Besten !"
Celui qui se connait lui-même et les autres
reconnaîtra aussi ceci:
L'Orient et l'Occident
Ne peuvent plus être séparés
Entre ces deux mondes avec esprit
Se bercer, je le veux bien;
Entre l'Est et l'Ouest ainsi
Se mouvoir, puisse cela profiter!
Johan Wolfgang von Goethe - West-östlicher Diwan -
An die Freude - Hymne à la joie
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Johann Christoph Friedrich von Schiller
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