Par où commencer
cette étrange entreprise de parler d’un de mes aliments favoris? Une bizarrerie
personnelle – venue je ne sais comment – de découvrir que l’encre de seiche,
puisque c’est d’elle qu’il s’agit, réjouit mes papilles, qu’elle colore les pâtes,
le riz ou le couscous. Un plat noir, c’’est surprenant et suscite a
priori la suspicion : est-ce bien naturel ? On nous vante tellement
les vertus d’une palette fraîche dans nos assiettes qu’une pitance noir de jais
ou grise suggère qu’elle est artificielle ou, en tous cas, pauvre en
vitamines. Alors pourquoi diable,
m’enthousiasmer pour le couscous à l’encre de seiche de Dar Slah, dans la
médina de Tunis, les seiches à l'encre de Chez Slah, une table de la même
ville, tenue par le frère du propriétaire du premier, le risotto du même nom
dévoré sur une vieille place à Split, ou les tagliatelles couleur de nuit d’un
autre restaurant de la banlieue nord de Tunis ? Le goût n’est pas très fort, sans être fade. La
texture particulière tient en bouche, et
teinte lèvres et dents d’une manière aussi drôle que peu seyante, sauf pour la
personne préférée de votre vie qui, de toutes les manières, rayonnera toujours
d’un feu transfigurateur et sublime.
J’ai appris que cette arme qu’utilisent les céphalopodes pour protéger
leur fuite, en cas de danger imminent, regorgerait, selon certains, de vertus
anti-inflammatoire et anti-cancérigènes. Tant mieux, puisque paraît-il les
calamars, poulpes, seiches et autres supions prolifèrent à la faveur du
réchauffement et de l’acidification des mers.
Leur encre n’est d’ailleurs pas l’apanage de la cuisine méditerranéenne,
espagnole ou italienne, les japonais aussi y recourent, eux qui sont connus
pour les vertus sanitaires de leur tradition culinaire. Certes, tout ceci est plaisant et rassurant,
mais je soupçonne que mon penchant pour ce liquide marin ne tient pas seulement
à l’alimentation et au plaisir de l’avoir en bouche. C’est évident après
tout : voilà un jus bénéfique pour le corps qui nourrit l’esprit et régale les yeux. Trois-en -un : cuisine, écriture et
images. Comme quoi, même en gastronomie,
la puissance évocatrice est un attrait essentiel, et tout ce qui délie les
langues et l’imagination fournit le carburant essentiel du lien social et la
convivialité. Finalement, rien ne vaut un
plat qui fait parler et couler de l’encre…