vendredi 19 août 2016

Al nero di sepia

Par où commencer cette étrange entreprise de parler d’un de mes aliments favoris? Une bizarrerie personnelle – venue je ne sais comment – de découvrir que l’encre de seiche, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, réjouit mes papilles, qu’elle colore les pâtes, le riz ou  le couscous.  Un plat noir, c’’est surprenant et suscite a priori la suspicion : est-ce bien naturel ? On nous vante tellement les vertus d’une palette fraîche dans nos assiettes qu’une pitance noir de jais ou grise suggère qu’elle est artificielle ou, en tous cas, pauvre en vitamines.  Alors pourquoi diable, m’enthousiasmer pour le couscous à l’encre de seiche de Dar Slah, dans la médina de Tunis, les seiches à l'encre de Chez Slah, une table de la même ville, tenue par le frère du propriétaire du premier, le risotto du même nom dévoré sur une vieille place à Split, ou les tagliatelles couleur de nuit d’un autre restaurant de la banlieue nord de Tunis ?  Le goût n’est pas très fort, sans être fade. La texture  particulière tient en bouche, et teinte lèvres et dents d’une manière aussi drôle que peu seyante, sauf pour la personne préférée de votre vie qui, de toutes les manières, rayonnera toujours d’un feu transfigurateur et sublime.  J’ai appris que cette arme qu’utilisent les céphalopodes pour protéger leur fuite, en cas de danger imminent, regorgerait, selon certains, de vertus anti-inflammatoire et anti-cancérigènes. Tant mieux, puisque paraît-il les calamars, poulpes, seiches et autres supions prolifèrent à la faveur du réchauffement et de l’acidification des mers.  Leur encre n’est d’ailleurs pas l’apanage de la cuisine méditerranéenne, espagnole ou italienne, les japonais aussi y recourent, eux qui sont connus pour les vertus sanitaires de leur tradition culinaire.  Certes, tout ceci est plaisant et rassurant, mais je soupçonne que mon penchant pour ce liquide marin ne tient pas seulement à l’alimentation et au plaisir de l’avoir en bouche. C’est évident après tout : voilà un jus bénéfique pour le corps  qui nourrit l’esprit et régale les yeux.  Trois-en -un : cuisine, écriture et images.  Comme quoi, même en gastronomie, la puissance évocatrice est un attrait essentiel, et tout ce qui délie les langues et l’imagination fournit le carburant essentiel du lien social et la convivialité.  Finalement, rien ne vaut un plat qui fait parler et couler de l’encre…