dimanche 25 février 2018

Yoga

28 ans de yoga...ma pratique a été plus ou moins régulière, parfois intense, à d'autres périodes plus pointilliste, mais toujours présente, centrale en fait. Je me rends compte en écrivant ces lignes que son début coïncide avec mon entrée dans la vie adulte - une pensée qui ne m'avait encore jamais traversé l'esprit! Ce fut, au départ, un chemin pour dissiper les maux de ventre qui me nouaient l'estomac sans raison médicale identifiable ; c'est au bout du compte, une manière d'apprendre à mieux vivre, en commençant par la base: apprendre à respirer conduit à s'exercer à accorder le corps et de l'esprit, le mouvement et le souffle.  Le yoga est pour moi une thérapeutique contre le mal de vivre, ma manière de rechercher l'union des contraires, de trouver une forme d'harmonie et d'équilibre dans mon intranquillité première.  J'y suis venue pour guérir, et le yoga reste fondamentalement pour moi une voie de guérison. Soin préventif et curatif, un préalable à tout le reste! Mais aussi et surtout approche globale et interconnectée de l'être, dans toutes ses dimensions - biologique, sensorielle,   émotionnelle, affective, intellectuelle, morale, spirituelle. Et pourtant, curieusement, sans m'en cacher, j'en parle assez peu, sans doute par peur de dire des banalités et de tenir un discours qui serait perçu comme tarte à la crème ou du prêt-à-penser sorti tout droit du rayon des techniques de bien-être et de développement personnel.  Le yoga n'est pas pour moi l'activité qu'on coince entre une séance de manucure et une virée de courses, et le studio de yoga n'est pas l'équivalent d'une salle de sport. C'est mon kit survie - le yoga m'a sauvée de bien des maladies, m'a aidée à faire naître mes enfants, à préserver ma santé et la leur, à remonter la pente de mes chagrins - et c'est aussi l'apprentissage d'un mode d'être ouvert et libre, sans jugement et aimant, une discipline qui libère et unifie - le psychique et le corporel, l'énergie et la matière. La puissance intégratrice du yoga est sans doute ce qui le rend pour moi si complet et en fait un instrument existentiel irremplaçable, puisqu'il s'applique à toute ma personne et exerce tous les niveaux et aspects de mon être.

"Garde intacte ta faiblesse. Ne cherche pas à acquérir des forces, de celles surtout qui ne sont pas pour toi, qui ne te sont pas destinées, dont la nature te préservait, te préparant à autre chose"

"Inouïes dans le règne animal, les mains, ces instruments d'affection et de douceur, qui mieux que n'importe quoi donnent des caresses. 
Aussi les animaux qui acceptent de la laisser faire (la main) ne redeviennent plus eux-mêmes, sauf toutefois les félins qui en temps voulu savent reprendre leur vie aventurière.
(...) Par là, par cette possibilité particulière de caresse, cet être agressif, impatient et calculateur qu'est l'homme a une sorte de prédestination à la douceur et à l'affection...Les enfants si on les laissait faire caresseraient des loups, des panthères. Cette singularité, mal mêlée à leurs autres inclinations, indiquerait pourquoi, malgré de bonnes et parfois très bonnes intentions, les hommes dans l'ensemble sont brouillons et - peuples aussi bien qu'individus - restent des instables à qui on ne peut longtemps se fier.
Dans la main, plus de tendresse que dans le coeur et dans le coeur plus que dans la conduite.
(...)
Mais alors? Si elle est réellement à la base, il faudrait bien y revenir, la traiter à part, sans gymnastique toutefois ni 'Mudras'. Elle n'a été que trop endoctrinée et tournée vers l'utile.
Trouve "ses' gestes, ceux dont elle a envie et qui sont des gestes pour te refaçonner. Danse de la main. Observes-en les effets immédiats et lointains. Capital, surtout si tu ne fus jamais un homme à gestes. C'est cela qui te manquait et non pas ce que vainement tu cherchais au dehors, en études et compilations. Indéfiniment, reviens à la main."

Henri Michaux - Poteaux d'angle

texte des yogas sutra de Patanjali:
file:///Users/annemohsen/Downloads/2013%20les%20sutra%20(1).pdf
https://www.yogaraphael.fr/textes-de-pata%C3%B1jali/

dimanche 11 février 2018

Me too?

Tant de femmes agressées. Avant-hier, hier, aujourd'hui ; au fil des millénaires, des siècles, des années et des jours.  Violence. Abus. Exploitation.  Humiliation. Brutalisées, abandonnées, sacrifiées,  elles subissent le pire là où la force du patriarcat, la pauvreté et les inégalités se conjuguent pour les reléguer au bas de l'ordre social et les condamner à une vie d'oppression à tous les niveaux. Quand la misère sévit, les femmes souffrent encore plus, c'est une évidence.  Nous, femmes d'occident et de pays riches, sommes des privilégiées  et nous avons, de ce fait, une responsabilité supplémentaire, un devoir premier de solidarité (ce qui n'enlève rien à la responsabilité des hommes, plus importante compte-tenu de leur puissance et richesse supérieures - qu'il s'agisse des occidentaux en général ou, ailleurs, des hommes de pouvoir).

La profonde inégalité du monde, le rapport de domination établi par les hommes sont un donné structuré et structurant de la condition humaine qui n'a émergé à ma conscience que progressivement, et je dois dire, tardivement - je ne m'en suis pas préoccupée avant d'entrer dans la vie professionnelle.  Je ne voyais que la chance incroyable que j'avais, qui m'interdisait de jeter un regard vraiment critique et encore plus de considérer que je pouvais être une victime, fut-ce seulement indirectement par appartenance à un groupe - celui des femmes- maltraité historiquement et toujours second dans l'ordonnancement de l'économie et du pouvoir.  Contrairement à mes grands-mères et à ma mère, j'arrivais à l'âge adulte en  jouissant vraiment des mêmes droits, des mêmes libertés, des mêmes possibilités que les garçons et jeunes hommes de mon âge. La bataille historique était gagnée. Les générations précédentes avaient fait le travail. Du moins, je croyais. On pouvait porter la lutte et l'attention ailleurs. Ce qui me hantait était l'injustice et le mal que les humains font aux autres humains - l'absurdité des souffrances, la dureté des inégalités et la folie de la guerre. Je n'avais pas une pensée "genrée". 

Cela a changé avec l'entrée dans la vie active et s'est approfondi au fil du temps. En quittant un monde étudiant égalitaire, ce que je ne voyais pas encore m'est apparu: le déséquilibre numérique aux postes de responsabilité et la persistance de modes d'organisation laissant aux femmes la charge première de la sphère privée et familiale. Le partage des tâches professionnelles n'était pas accompagné par un mouvement de partage équivalent des tâches domestiques. L'égalité était un postulat, mais souffrait d'un déni de réalité. J'en reste profondément convaincue aujourd'hui: tant que les hommes n'investiront pas autant que les femmes la sphère familiale et privée, les déséquilibres et le rapport de domination social, politique et économique et toutes les injustices et souffrances qu'ils génèrent perdureront. Le livre récent d'Olivia Gazalé, le mythe de la virilité, est un exposé magistral de la construction de ce rapport de domination au fil de l'histoire, et de l'enfermement collectif qu'il représente, tant pour les femmes que pour les hommes eux-mêmes.  Nous, les femmes, avons depuis deux siècles, considérablement travaillé et réfléchi à notre "condition" - c'est un mouvement réel de libération individuelle et collective. Les hommes aujourd'hui, souffrent  de ne pas bénéficier d'un héritage et corpus équivalent sur la "condition masculine". J'aime à dire, en plaisant à moitié, que nous avons besoin d'un mouvement de libération des hommes, mais je le pense vraiment - que les hommes se libèrent de leurs conditionnements serait salutaire pour tous. Fort heureusement, ils sont de plus en plus nombreux à entamer ce travail, à remettre en cause les schémas du passé, à porter un autre regard sur eux-mêmes et sur les femmes, à vivre et à travailler autrement, à faire une place égale aux femmes, et à vouloir, pour leurs filles, la même chose que pour leurs fils et pour eux-mêmes.  J'ai rencontré et travaillé avec beaucoup d'hommes formidables de ce point de vue là. 

Après celle de l'accès des femmes au monde du travail et à tous les postes de responsabilité dans celui-ci, la bataille de la parité est double pour les hommes: celle du plein partage des responsabilités domestiques et parentales (objectif pour lequel les femmes ont aussi leur part de chemin à faire) et celle de leur investissement dans les secteurs d'activité professionnelle caractérisés par des taux de féminisation très élevé. Instituteurs, infirmiers, assistants sociaux, psychologues: il faudrait davantage d'hommes pour notre bien être collectif et en particulier celui de nos enfants.  Il faut en finir avec un modèle et une répartition vouant les femmes aux professions de service, y compris le service public, et aux hommes celles où l'on peut gagner le plus d'argent ou exercer le plus de pouvoir ou de puissance.  Hommes et femmes ne sont pas identiques, mais ils sont appelés aux mêmes fonctions. La différence n'est pas ontologique, elle est sexuée - sa raison d'être est biologique: assurer la reproduction de l'espèce. Il faut tenir compte des différences physiques et psychologiques entre hommes et femmes, de leurs rythmes biologiques propres, mais cela ne saurait, en aucun cas, justifier une ségrégation des rôles, des fonctions et responsabilités - sur le plan social, économique, politique, familial, intellectuel, scientifique, moral ou spirituel. L'égalité doit être totale et complète.  Y parvenir implique une transformation radicale, un ré-agencement profond. Cela ne peut pas être brutal, donc cela ne peut pas prendre une forme révolutionnaire. Cependant, l'objectif et le résultat sont bien ceux d'une révolution: un bouleversement et une restructuration complète de l'ordre social ancien.  

Et cela commence dans nos têtes: alors que tout mon parcours professionnel participe, entre autres (j'ai bien d'autres motivations en sus de celle-là), à la volonté de démontrer et pratiquer cette égalité, je dois lutter, continuellement, contre le sentiment d'être moins capable et, de facto, contre une capacité moindre à m'affirmer et m'exprimer publiquement. Je reste intérieurement, trop souvent, tétanisée. J'ai longtemps pensé que c'était uniquement une question de personnalité - une faille d'introvertie (et cela l'est, en effet, en grande partie). Mais je dois faire le constat aujourd'hui que c'est aussi une intériorisation collective des femmes (et peut-être davantage les femmes françaises, germaniques ou latines que celles qui appartiennent au monde anglo-saxon), le résultat de la fameuse auto-censure ou du syndrome de l'imposteur brillamment dénoncés il y a quelques années par Sheryl Sandberg dans son best-seller "Lean in". 

La vague de témoignages déclenchée par le mouvement #Metoo m'a d'abord sidérée et laissée sans voix: j'ai été intérieurement terrassée d'apprendre que tant de femmes, là où je vis, aux Etats-Unis et en France, avaient été et continuaient d'être les victimes d'agressions et abus sexuels aussi graves et en aussi grand nombre, y compris dans des milieux sociaux aisés et a priori plus protégés. Une fois de plus, je me suis sentie terriblement privilégiée et chanceuse - d'avoir échappé à toute agression sexuelle, et responsable - de chercher à contribuer à en finir avec ce type de violence.  J'avais surtout réfléchi à la question de l'inégalité professionnelle, économique et sociale des femmes, mais en fait assez peu aux comportements sexistes et au machisme sexuel, et je me suis sentie prise au dépourvu: comment une telle omerta a-t-elle été possible?  Nous avons accepté et nourri le silence et celui-ci m'a rendue aveugle et sourde, y compris à ma propre expérience: au départ, je ne me suis pas sentie concernée et ai pensé que j'avais été heureusement épargnée,  il m'a fallu des semaines pour me remémorer les anecdotes, certaines remarques sexistes ou des choses beaucoup moins anodines et leur donner leur vraie étiquette. Ce faisant, il m'est apparu clairement que c'est dans les situations de plus grande vulnérabilité (jeune, étudiante, jeune professionnelle, jeune mère) que j'ai été le plus exposée au sexisme comme au machisme sexuel (se faire toucher les cheveux dans un ascenseur par un haut responsable par exemple, ou poussée à accepter un flirt appuyé dans le cadre d'un job étudiant). Acquérir un statut social et gagner en pouvoir au plan professionnel m'a protégée.  Il faut donc, en priorité, protéger les femmes les plus vulnérables - que leur vulnérabilité relève de leur âge (les plus jeunes, les plus âgées et dépendantes), de leur statut social, de leur précarité économique ou de leurs positions professionnelles subalternes, et, surtout, leur donner les moyens de ne plus être victimes et de gagner en capacité et en pouvoir. En anglais, cela s'appelle "empowerment". Ce n'est pas un vain slogan, cela doit être notre objectif.