dimanche 28 avril 2013

Music

Sometimes I wish I'll drown in sounds, forget about everything else - merge with outpouring emotions, in the quicksand of feeling. Music rushes my brain, a liquefied fire. Pulsating sensations travel my being, reminiscing wild shores and caressing wind, babbling stories, beating closer and closer in the curls of my soul, chasing untold mysteries, an impossible love, mute memories, the tender warmth of a child. Old people hold hands, singing. New life will come, bulging between old cobbles. A stream broke to the other side; beneath the ancient house, a door is open - I see a path to the harbor.
La musique est aussi frémissement de langues qui tintinnabulent dans ma tête- bruissement de sons aux couleurs variées, différentes parties de moi-même, déploiement divers de la pensée, effort multiple d'appréhension du monde.



A noir, E blanc, I rouge, O bleu: voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes:
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d'ombres ; E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes;
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux;
O, suprême clairon plein de strideurs étranges,
Silence traversé des mondes et des anges:
O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux!

Arthur Rimbaud, Voyelles.

dimanche 21 avril 2013

Etranger dans notre vie, je ne parle qu'à toi avec d'étranges mots

La poésie m'aide à vivre. A revivre. Encore, et encore, elle me place sur le seuil - ouvre un regard sans jugement - question, caresse, souffle ou simplement béance. Je parle d'une poésie sans prétention ni grandiloquence. Une poésie comme celle de Philippe Jaccottet, qui murmure: "comme je suis un étranger dans notre vie, je ne parle qu'à toi avec d'étranges mots". Trouée vers l'autre et l'autrement, orée entre-deux-mondes, elle dépasse les catégories, déplace les lignes. La mort taraude les vers, l'amour aussi, la soif passionnée de vivre, mais sans se mentir, debout yeux ouverts, buvant, embrassant l'expérience bonne et mauvaise, plaisir et souffrance, avec ce souci: sonner juste, restituer une vérité sentie, briser la gangue de nos égos enflés. Le lyrisme est périlleux - mais il y a une secrète jubilation du langage, qui se rit de lui-même dans sa virtuosité, enfonce les portes de notre pauvre réel, et nous sublime - je pense à Cyrano (de Bergerac, pièce d'Edmond Rostand), vu hier dans une petite salle de la banlieue parisienne. La beauté naît de cet entrelacs de résonances,  contradictions qu'elle ne cherche pas à résoudre. Par elle, j'accepte, j'accueille et à tâtons chemine...sous la ramure urbaine, et dans les hautes branches d'une pinède oubliée entre les pages d'un livre, j'ai entendu un grand rire, et les gloussements perlés d'enfants en vadrouille. Un amour inconnu m'appelle.



Dis encore cela....

Dis encore cela patiemment, plus patiemment
ou avec fureur, mais dis encore,
en défi aux bourreaux, dis cela, essaie,
sous l'étrivière du temps.

Espère encore que le dernier cri
du fuyard avant de s'abattre soit tel,
n'étant pas entendu, étant faible, inutile,
qu'il échappe, au moins lui sinon sa nuque,
à l'espace où la balle de la mort ne dévie jamais,
et par une autre oreille que la terre grande ouverte
soit recueilli, plus haut, non pas plus haut,
ailleurs, pas même ailleurs: soit recueilli
peut-être plus bas, comme une eau
qui s'enfonce dans la poussière du jardin,
comme le sang qui se disperse, fourvoyé,
dans l'inconnu.

Dernière chance pour toute victime sans nom:
qu'il y ait, non pas au-delà des collines
ou des nuages, non pas au-dessus du ciel
ni derrière les beaux yeux clairs, ni caché
dans les seins nus, mais on ne sait comment
mêlé au monde que nous traversons,
qu'il y ait, imprégnant ses moindres parcelles,
de cela que la voix ne peut nommer, de cela
que rien ne mesure, afin qu'encore
il soit possible d'aimer la lumière
ou seulement de la comprendre,
ou simplement, encore, de la voir
elle, comme la terre la recueille,
et non pas rien que sa trace de cendre.

Philippe Jaccottet - A la lumière d'hiver

dimanche 14 avril 2013

Mirages beyrouthins


Cliché, mais vécu.  Je pleure Beyrouth, que je viens de quitter – ville paradoxale dont les contrastes innombrables donnent le vertige. Beyrouth est laide au premier abord – une champignonnière d’immeubles sans forme à flanc de montagne, un immense désordre, un cadre exceptionnel défiguré. Beyrouth est belle pourtant. On ne peut que se laisser envouter par l’identité insaisissable et multiple d’une construction impossible juxtaposant les contraires les plus opposés. Beyrouth mêle l’extrême richesse et l’abjecte pauvreté, le matérialisme triomphant et la grande piété, la douceur de vivre et la violence sociale. Les balafres encore visibles de la guerre civile s’offrent à voir ci et là. La guerre a éventré le centre ville, à jamais éviscéré de la vie ancienne qui pulsait dans des souks disparus et remplacés par des centres commerciaux policés mais sans âme. Où ailleurs peut-on voir côte-à-côte une église maronite,  une autre grecque catholique, une troisième orthodoxe, une mosquée Sunnite, une autre chiite? Beyrouth est pleine de scandales – la misère des camps palestiniens, la corruption, l’ineptie de l’état. Mais c’est prodigieux, l’incarnation d’une aporie et d’un vivre ensemble tout à la fois.  Ville phénix aussi, relevée de ses cendres. Je déambule dans les rues aux senteurs printanières, dans un air plus léger que l’air, voyant partout le signe qu’il est temps comme la nature de revivre. Et Beyrouth me transporte de sensations – douces et intenses- rassemble amis d’hier et d’aujourd’hui, échos du passé et portes vers l’avenir. Beyrouth bruisse du mystère de sa propre résurrection, rongée par un communautarisme qui voue le pays à un équilibre de funambule, au fil du rasoir, dans un vide de citoyenneté commune. Et pourtant dans le roulis de l’histoire, Beyrouth a des allures de rencontre avec le destin. Envers et contre tout, cette ville me porte à l’espoir.