Cliché, mais vécu. Je
pleure Beyrouth, que je viens de quitter – ville paradoxale dont les contrastes
innombrables donnent le vertige. Beyrouth est laide au premier abord – une
champignonnière d’immeubles sans forme à flanc de montagne, un immense
désordre, un cadre exceptionnel défiguré. Beyrouth est belle pourtant. On ne
peut que se laisser envouter par l’identité insaisissable et multiple d’une
construction impossible juxtaposant les contraires les plus opposés. Beyrouth
mêle l’extrême richesse et l’abjecte pauvreté, le matérialisme triomphant et la
grande piété, la douceur de vivre et la violence sociale. Les balafres encore
visibles de la guerre civile s’offrent à voir ci et là. La guerre a éventré le
centre ville, à jamais éviscéré de la vie ancienne qui pulsait dans des souks
disparus et remplacés par des centres commerciaux policés mais sans âme. Où
ailleurs peut-on voir côte-à-côte une église maronite, une autre grecque catholique, une troisième
orthodoxe, une mosquée Sunnite, une autre chiite? Beyrouth est pleine de
scandales – la misère des camps palestiniens, la corruption, l’ineptie de l’état.
Mais c’est prodigieux, l’incarnation d’une aporie et d’un vivre ensemble tout à
la fois. Ville phénix aussi, relevée de
ses cendres. Je déambule dans les rues aux senteurs printanières, dans un air
plus léger que l’air, voyant partout le signe qu’il est temps comme la nature
de revivre. Et Beyrouth me transporte de sensations – douces et intenses-
rassemble amis d’hier et d’aujourd’hui, échos du passé et portes vers l’avenir.
Beyrouth bruisse du mystère de sa propre résurrection, rongée par un communautarisme
qui voue le pays à un équilibre de funambule, au fil du rasoir, dans un vide de
citoyenneté commune. Et pourtant dans le roulis de l’histoire, Beyrouth a des
allures de rencontre avec le destin. Envers et contre tout, cette ville me
porte à l’espoir.
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