dimanche 15 septembre 2019

Back to the future

Est-ce l'angoisse du nid presque vide qui me pousse à me replonger dans le passé? Quoi qu'il en soit des agencements intérieurs qui se refont presqu'à mon insu alors que Youssef s'apprête à prendre son envol vers Chicago, le hasard du calendrier a mis à l'affiche du cinéma le plus proche un film récent sur la guerre d'Irak de 2003, contre laquelle j'avais tant mis de mon énergie de jeune diplomate française au Conseil de sécurité, alors que Youssef était au berceau..."Official secrets" est un film qui revient sur la manipulation délibérée du renseignement par les autorités américaines et britanniques afin d'obtenir une autorisation de la guerre par les Nations Unies, et plus précisément, sur une opération de renseignement destinée à faire pression sur les diplomates des Etats membres non permanents  du Conseil de sécurité afin qu'ils apportent leur soutien à l'opération américaine. C'est aussi un hommage vibrant au courage d'une jeune femme des services secrets britanniques qui fit fuiter un document top secret dans la presse pour tenter de susciter une mobilisation de l'opinion publique de nature à prévenir la guerre. Lorsque les opérations militaires sont finalement lancées, alors même que le Conseil de sécurité n'a pas voté de résolution pour les autoriser, elle fait le constat amer de l'échec. Jamais je n'oublierai ce traumatisme : avoir réussi à faire triompher la raison et la responsabilité dans le cadre diplomatique, avoir avec soi la majorité de l'opinion comme des Etats, mais avoir échoué à faire entendre raison au plus fort, et n'avoir pu stopper la force de déployer sa violence.  Impossible pour moi depuis d'admirer et d'aimer vraiment les Etats-Unis, qui ont pu commettre une telle injustice. Là résident sans doute les réticences et inhibitions qui m'empêchent de me sentir chez moi ici, où j'ai pourtant passé la plus grande part de ma vie d'adulte. Surmonter cette sentence inaugurale implacable face à l'histoire et subvertir le négatif m'a depuis toujours motivée. Je veux comprendre et apprendre comment transformer le noir en lumière, et c'est pourquoi l'oeuvre de Pierre Soulages m'a toujours beaucoup intriguée. Une petite rétrospective de ses oeuvres est accrochée ces jours-ci dans une galerie de l'Upper East side, qui montre bien le génie extraordinaire de cet artiste qui,  depuis un siècle, opiniâtrement, fait du noir la mise en valeur des jeux et du mystère de la lumière. Ses tableaux sont noirs, mais ils ne sont pas sombres.

samedi 7 septembre 2019

What happened?

Le temps est magnifique, l'air est cristallin et je respire la fin d'été douce et dorée, le muscle de mon mollet droit, déchiré il y a trois semaines, est guéri. Mes enfants sont en pleine santé, joyeux de leur rentrée, le boulot va bien, les collègues sympas et efficaces. Mais je panique. A l'intérieur, je fais mes comptes avec moi-même et je m'en veux, d'abord de ce que je bois (j'ai pris un café et une bière aujourd'hui) et de ce que je mange (j'aime trop le fromage et le chocolat noir),  des livres que je ne lis pas assez vite et sans les mémoriser comme il faudrait, du yoga que je pratique depuis des années sans avoir réussi à réaliser mon rêve de faire une certification de prof, des poèmes et des livres que je n'écris que dans ma tête (une synthèse de tout ce que je voudrais que mes enfants sachent sur leur famille et ce qui compte pour moi, une biographie de Souma - leur nounou égyptienne, un essai sur les non violents en pays arabes et musulmans,  des poèmes étonnés et intranquilles, qui parleraient de ces instants riches de tous les possibles qui sont le présent de chaque heure et le tissu de toute vie et qui pourtant se trouent, se nouent et parfois nous noient et nous broient,  une lecture commentée du Coran, des traductions), de mon blog en jachère, des voyages que j'aimerais entreprendre sans le faire, de la course à pied que j'aspire à pratiquer sans m'en croire vraiment capable, de mon manque d'humour et de sens de la répartie, de mon amour de la musique doublé d'une incapacité crasse à chanter comme il faut,  de ma hantise d'être rejetée et moquée et pire de déclencher des conflits, et bien sûr, de ma solitude de femme face à la suite pathétique des échecs amoureux et impasses sentimentales de ma vie.  J'ai peur de me trouver un jour rongée par l'ennui et le mépris - dans un miroir se mire l'ombre de ma psyché inversée  - une misanthrope moqueuse et excédée, trop fatiguée pour le savoir et le plaisir.  Se reposer, voilà sans doute ce que je dois apprendre ou réapprendre, mais c'est excessivement difficile car toute ma sécurité psychologique réside dans l'effort permanent de faire, d'apprendre, d'améliorer, de servir. C'est pourquoi le bouquin de Mukarami sur la course à pied me plait tant: il justifie l'aspiration à toujours tendre au dépassement, au combat incessant et toujours repris contre soi, à la non suffisance, il légitime ma façon d'être et de vivre, de dire non au monde tel qu'il est et à moi telle que je suis, de désirer et de vouloir autrement. Je n'en peux plus de l'injonction à ne pas se plaindre, à tout positiver, à accepter l'ordre des choses et le cours du monde. Etre heureux n'est plus un droit mais un devoir désormais. Alors, tant pis si je ne suis pas heureuse comme il le faudrait, et comme je ne le serai peut-être jamais. Comment le pourrais-je, avec mes chagrins d'amour trop grands, et de pire en pire, et ce sentiment lancinant de culpabilité face aux souffrances immenses que les humains infligent à d'autres humains et à la destruction de notre habitacle terrien? Je veux vivre avec ces trous d'air et mes fêlures, je tiens debout, j'avance, le mouvement est une suite de déséquilibres, c'est bien connu. Je peux endurer mais voilà, aujourd'hui, j'arrête de prétendre que cela ne fait pas mal - je le dis, je ne suis pas stoïque et je refuse de l'être - ras le bol de cette morale de l'héroïsme ordinaire, de l'éthique de la sanctification et du salut par la souffrance et l'acceptation. Je n'avais jamais senti cela à ce point - la colère et la plainte. Pourquoi ne pas oser dire ce que je déteste (autre que des évidences comme la violence et la souffrance d'autrui,  et ailleurs que dans le cocon familial - mes enfants ont la chance sans doute de savoir mieux que quiconque ce que j'aime et déteste, dans les petites et les grandes choses)? Déformation professionnelle sans doute, qui n'a fait qu'accuser un trait de caractère initial - la peur du conflit frontal parce que trop tôt soumise par l'expérience d'un rapport asymétrique dans lequel je ne pouvais, enfant, que perdre...
Le déséquilibre psychologique structurel des gens de pouvoir comme le stress servile de ceux qui les entourent  m'insupportent de plus en plus. Servir l'état et le collectif est une chose, se mettre au service d'un homme (ou d'une femme) en est une autre. Il n'est pas possible d'échapper au phénomène de cour si on entre au palais, et il y a des gens très bien qui franchissent cette porte. J'essaie de continuer à croire qu'il reste une petite main invisible grâce à laquelle du bien se fait à travers le mal et le bal des égos, et que les caprices ne sont que l'écume d'une eau qui par ailleurs étanche la soif du plus grand nombre, mais c'est parfois difficile. Que de pays qui pèsent beaucoup sur la vie des autres et qui se trouvent aujourd'hui dans des mains inquiétantes de bêtise et d'avidité (Trump, Bolsonaro, Johnson) ou de cynisme autoritaire et violent (Poutine, Xi Jinping, Sissi) voire pire (Kim Jong Un)...nous sommes chanceux, même si l'hubris de la suffisance et de l'excessive confiance en soi est un danger qui rôde chez nous aussi. Comment réussir à vivre dans un environnement et une communauté qui soient structurés autrement que par des rapports de force et de domination? Est-ce même possible? J'ai besoin de trouver une issue à cette logique des jeux de puissance et d'emprise, au delà  (ou en deçà) de la vie intérieure et spirituelle, j'ai besoin de connaître quelles sont les réponses -au plan philosophique, scientifique, politique, économique. Quelles sont les vôtres?