Le temps est magnifique, l'air est cristallin et je respire la fin d'été douce et dorée, le muscle de mon mollet droit, déchiré il y a trois semaines, est guéri. Mes enfants sont en pleine santé, joyeux de leur rentrée, le boulot va bien, les collègues sympas et efficaces. Mais je panique. A l'intérieur, je fais mes comptes avec moi-même et je m'en veux, d'abord de ce que je bois (j'ai pris un café et une bière aujourd'hui) et de ce que je mange (j'aime trop le fromage et le chocolat noir), des livres que je ne lis pas assez vite et sans les mémoriser comme il faudrait, du yoga que je pratique depuis des années sans avoir réussi à réaliser mon rêve de faire une certification de prof, des poèmes et des livres que je n'écris que dans ma tête (une synthèse de tout ce que je voudrais que mes enfants sachent sur leur famille et ce qui compte pour moi, une biographie de Souma - leur nounou égyptienne, un essai sur les non violents en pays arabes et musulmans, des poèmes étonnés et intranquilles, qui parleraient de ces instants riches de tous les possibles qui sont le présent de chaque heure et le tissu de toute vie et qui pourtant se trouent, se nouent et parfois nous noient et nous broient, une lecture commentée du Coran, des traductions), de mon blog en jachère, des voyages que j'aimerais entreprendre sans le faire, de la course à pied que j'aspire à pratiquer sans m'en croire vraiment capable, de mon manque d'humour et de sens de la répartie, de mon amour de la musique doublé d'une incapacité crasse à chanter comme il faut, de ma hantise d'être rejetée et moquée et pire de déclencher des conflits, et bien sûr, de ma solitude de femme face à la suite pathétique des échecs amoureux et impasses sentimentales de ma vie. J'ai peur de me trouver un jour rongée par l'ennui et le mépris - dans un miroir se mire l'ombre de ma psyché inversée - une misanthrope moqueuse et excédée, trop fatiguée pour le savoir et le plaisir. Se reposer, voilà sans doute ce que je dois apprendre ou réapprendre, mais c'est excessivement difficile car toute ma sécurité psychologique réside dans l'effort permanent de faire, d'apprendre, d'améliorer, de servir. C'est pourquoi le bouquin de Mukarami sur la course à pied me plait tant: il justifie l'aspiration à toujours tendre au dépassement, au combat incessant et toujours repris contre soi, à la non suffisance, il légitime ma façon d'être et de vivre, de dire non au monde tel qu'il est et à moi telle que je suis, de désirer et de vouloir autrement. Je n'en peux plus de l'injonction à ne pas se plaindre, à tout positiver, à accepter l'ordre des choses et le cours du monde. Etre heureux n'est plus un droit mais un devoir désormais. Alors, tant pis si je ne suis pas heureuse comme il le faudrait, et comme je ne le serai peut-être jamais. Comment le pourrais-je, avec mes chagrins d'amour trop grands, et de pire en pire, et ce sentiment lancinant de culpabilité face aux souffrances immenses que les humains infligent à d'autres humains et à la destruction de notre habitacle terrien? Je veux vivre avec ces trous d'air et mes fêlures, je tiens debout, j'avance, le mouvement est une suite de déséquilibres, c'est bien connu. Je peux endurer mais voilà, aujourd'hui, j'arrête de prétendre que cela ne fait pas mal - je le dis, je ne suis pas stoïque et je refuse de l'être - ras le bol de cette morale de l'héroïsme ordinaire, de l'éthique de la sanctification et du salut par la souffrance et l'acceptation. Je n'avais jamais senti cela à ce point - la colère et la plainte. Pourquoi ne pas oser dire ce que je déteste (autre que des évidences comme la violence et la souffrance d'autrui, et ailleurs que dans le cocon familial - mes enfants ont la chance sans doute de savoir mieux que quiconque ce que j'aime et déteste, dans les petites et les grandes choses)? Déformation professionnelle sans doute, qui n'a fait qu'accuser un trait de caractère initial - la peur du conflit frontal parce que trop tôt soumise par l'expérience d'un rapport asymétrique dans lequel je ne pouvais, enfant, que perdre...
Le déséquilibre psychologique structurel des gens de pouvoir comme le stress servile de ceux qui les entourent m'insupportent de plus en plus. Servir l'état et le collectif est une chose, se mettre au service d'un homme (ou d'une femme) en est une autre. Il n'est pas possible d'échapper au phénomène de cour si on entre au palais, et il y a des gens très bien qui franchissent cette porte. J'essaie de continuer à croire qu'il reste une petite main invisible grâce à laquelle du bien se fait à travers le mal et le bal des égos, et que les caprices ne sont que l'écume d'une eau qui par ailleurs étanche la soif du plus grand nombre, mais c'est parfois difficile. Que de pays qui pèsent beaucoup sur la vie des autres et qui se trouvent aujourd'hui dans des mains inquiétantes de bêtise et d'avidité (Trump, Bolsonaro, Johnson) ou de cynisme autoritaire et violent (Poutine, Xi Jinping, Sissi) voire pire (Kim Jong Un)...nous sommes chanceux, même si l'hubris de la suffisance et de l'excessive confiance en soi est un danger qui rôde chez nous aussi. Comment réussir à vivre dans un environnement et une communauté qui soient structurés autrement que par des rapports de force et de domination? Est-ce même possible? J'ai besoin de trouver une issue à cette logique des jeux de puissance et d'emprise, au delà (ou en deçà) de la vie intérieure et spirituelle, j'ai besoin de connaître quelles sont les réponses -au plan philosophique, scientifique, politique, économique. Quelles sont les vôtres?
Le déséquilibre psychologique structurel des gens de pouvoir comme le stress servile de ceux qui les entourent m'insupportent de plus en plus. Servir l'état et le collectif est une chose, se mettre au service d'un homme (ou d'une femme) en est une autre. Il n'est pas possible d'échapper au phénomène de cour si on entre au palais, et il y a des gens très bien qui franchissent cette porte. J'essaie de continuer à croire qu'il reste une petite main invisible grâce à laquelle du bien se fait à travers le mal et le bal des égos, et que les caprices ne sont que l'écume d'une eau qui par ailleurs étanche la soif du plus grand nombre, mais c'est parfois difficile. Que de pays qui pèsent beaucoup sur la vie des autres et qui se trouvent aujourd'hui dans des mains inquiétantes de bêtise et d'avidité (Trump, Bolsonaro, Johnson) ou de cynisme autoritaire et violent (Poutine, Xi Jinping, Sissi) voire pire (Kim Jong Un)...nous sommes chanceux, même si l'hubris de la suffisance et de l'excessive confiance en soi est un danger qui rôde chez nous aussi. Comment réussir à vivre dans un environnement et une communauté qui soient structurés autrement que par des rapports de force et de domination? Est-ce même possible? J'ai besoin de trouver une issue à cette logique des jeux de puissance et d'emprise, au delà (ou en deçà) de la vie intérieure et spirituelle, j'ai besoin de connaître quelles sont les réponses -au plan philosophique, scientifique, politique, économique. Quelles sont les vôtres?
Ma grande soeur chérie, je te dirais
RépondreSupprimer"bois !" de la bière, du café, et même de la vodka ;)
" fais ta certification de yoga :)
et écris !!!
comme le dit si bien ANaîs Nin:
"Je crois que l'on écrit parce que l'on doit se créer un monde dans lequel on puisse vivre. Je ne pouvais vivre dans aucun des mondes qu'on me proposait : Le monde de mes parents, le monde de la guerre, le monde de la politique.
J'ai dû créer un monde pour moi, un climat, un pays, une atmosphère où je puisse respirer, régner et me recréer lorsque j'étais détruite par la vie.
Voilà, je crois, la raison de toute oeuvre d'art. L'artiste est le seul qui sache que le monde est une création subjective, qu'il faut faire un choix, une sélection des éléments. C'est une matérialisation, une incarnation de son monde intérieur. Et puis, il espère y attirer d'autres êtres, il espère imposer cette vision particulière et la partager avec d'autres. Même si la seconde étape n'est pas atteinte, l'artiste, néanmoins, continue vaillamment.
Les rares moments de communion avec le monde en valent la peine, car c'est un monde pour les autres,un don aux autres, en définitive. Nous écrivons aussi pour aviver notre perception de la vie, nous écrivons pour charmer, enchanter et consoler les autres, nous écrivons pour chanter à ceux que nous aimons.
Nous écrivons pour goûter la vie deux fois : sur le moment et après coup."
Je t'embrasse fort
je ne lis ta publication que maintenant...
RépondreSupprimerton texte est si fort, si poignant!
Je suis d'accord avec Blandine: écris ma belle, écris! Ta plume est si belle!