Le tragique de l'Histoire me réconcilie avec l'angoisse, source de mon intranquillité foncière. Subrepticement d'abord, avec de plus en plus de netteté ensuite, mes pérégrinations intellectuelles - à travers mes lectures, les entretiens entendus à la radio, les films, les pièces de théâtre, les conversations, les voyages - sont apparues plus cohérentes et moins fortuites, et m'ont fait voir, toucher, sentir que l'angoisse était un noeud vital: pas un trou noir, mais le signe inversé et inconscient du désir, une manifestation paradoxale de la pulsion de vie. J'ai vu aussi en elle la somatisation individuelle du tragique de l'histoire collective - l'absurde mystère qui fait que le destin des peuples toujours échappe au vouloir et reste jonché de cadavres et de violences à jamais injustifiables, marqué du sceau de la mort non pas comme fin harmonieuse d'un cycle biologique mais comme injustice et souffrance. Au niveau personnel, l'angoisse nait de nos contradictions inconscientes, du conflit de nos désirs, de notre incapacité à les réconcilier ou à choisir, de la difficulté à harnacher la pulsion de mort et mettre sa force au service du désir de vivre. Mais elle fonctionne comme une alarme pour révéler en creux la force du désir qu'elle chasse de sa tanière secrète; découverte, contrôlée, elle peut devenir un moteur puissant. Le tragique de l'Histoire nait de la contradiction profonde entre volonté du bien commun et destin funeste malgré nous, comme la manifestation de ce mal destructeur issu d'un inconscient collectif si contradictoire qu'il nous broie, ou issu de l'incapacité de la majorité à faire pièce à la pulsion de mort désinhibée de la minorité parvenue au pouvoir.
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