Ce week-end m'a offert une sérendipité d'étagères : alors que tous les romans me tombaient des mains ces derniers temps, je suis allée à la Fnac, motivée par mon inclinaison maternelle à procurer à Yann le Gargantua de Rabelais qui est cette année au programme des élèves de 1ère, et je me suis trouvée devant les étals de livres venus d'ailleurs (je veux dire : écrits par des auteurs non français) dont l'attrait exotique a d'emblée un puissant effet sur moi. Pour briser la conjuration de mon incapacité à me plonger dans la lecture d'une fiction, je penchais pour un roman d'espionnage de John Le Carré mais suis tombée sur un autre bouquin à la couverture incongrue qui faisait penser à un polar (une batte de baseball avec une tache de sang), "Le recensement des intellos de gauche", de Giacomo Papi, présenté en quatrième de couverture comme un grand succès en Italie. Drôle et triste, léger et grave, érudit et ludique, le livre m'a beaucoup plu. L'Italie est méconnue en France, et c'est bien dommage. Les pages 164 à 178 listant les mots à interdire sont un morceau de bravoure que je vous laisse découvrir si la curiosité vous en prend. Certaines phrases se détachent pour moi, parce qu'elles mettent noir sur blanc des pensées qui sont comme des évidences que je me répète depuis longtemps et qui vont sans dire mais qui vont aussi tellement mieux en les disant : " elle pensa que c'était peut-être tout aussi vrai pour les livres qui, telles des stèles funéraires, étaient comme des points de jonction entre les vivants et les morts". J'ai toujours pensé cela, que les écrivains décédés étaient comme des amis de l'au-delà, des morts vivants, des êtres encore présents à travers leurs paroles et leur pensée me parlant, à moi et tous leurs lecteurs d'aujourd'hui et que nous formions une communauté à travers les âges. C'est vrai de nos morts en général d'ailleurs, avec lesquels nous vivons, pour faire allusion au beau titre du dernier livre de Delphine Horvilleur ("Vivre avec nos morts"). Le rayonnement séminal de certaines vies est tel qu'il irradie toute notre existence et continue de la nourrir, orienter et transformer longtemps après le décès. Nos morts, ceux qui sont les nôtres parce qu'ils nous sont intimes, ne mourront qu'avec nous. Giacomo Papi nous parle aussi de la culture, comme antithèse et antidote au populisme: " la culture est un pari sur le fait que grâce à la pensée, on peut finir par comprendre à peu près le monde. Comme certains ont avantage à ce qu'on n'y comprenne rien, elle a tendance à les déranger beaucoup".
Le hasard heureux m'a ensuite portée devant une bande dessinée, dans la bibliothèque de mon frère, intitulée "Les ignorants" - nul doute que le titre m'a accrochée, ne serait-ce que comme un réponds à la lecture du livre de Giacomo Papi où se trouvait dénoncée la volonté populiste de manipuler l'ignorance. J'ai beaucoup aimé aussi ce bouquin inattendu mettant aux prises l'auteur et un vigneron, pour une analogie approfondie entre la production artistique et matérielle d'un livre et celle d'un vin. A consommer sans modération!
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