Est-ce l'angoisse du nid presque vide qui me pousse à me replonger dans le passé? Quoi qu'il en soit des agencements intérieurs qui se refont presqu'à mon insu alors que Youssef s'apprête à prendre son envol vers Chicago, le hasard du calendrier a mis à l'affiche du cinéma le plus proche un film récent sur la guerre d'Irak de 2003, contre laquelle j'avais tant mis de mon énergie de jeune diplomate française au Conseil de sécurité, alors que Youssef était au berceau..."Official secrets" est un film qui revient sur la manipulation délibérée du renseignement par les autorités américaines et britanniques afin d'obtenir une autorisation de la guerre par les Nations Unies, et plus précisément, sur une opération de renseignement destinée à faire pression sur les diplomates des Etats membres non permanents du Conseil de sécurité afin qu'ils apportent leur soutien à l'opération américaine. C'est aussi un hommage vibrant au courage d'une jeune femme des services secrets britanniques qui fit fuiter un document top secret dans la presse pour tenter de susciter une mobilisation de l'opinion publique de nature à prévenir la guerre. Lorsque les opérations militaires sont finalement lancées, alors même que le Conseil de sécurité n'a pas voté de résolution pour les autoriser, elle fait le constat amer de l'échec. Jamais je n'oublierai ce traumatisme : avoir réussi à faire triompher la raison et la responsabilité dans le cadre diplomatique, avoir avec soi la majorité de l'opinion comme des Etats, mais avoir échoué à faire entendre raison au plus fort, et n'avoir pu stopper la force de déployer sa violence. Impossible pour moi depuis d'admirer et d'aimer vraiment les Etats-Unis, qui ont pu commettre une telle injustice. Là résident sans doute les réticences et inhibitions qui m'empêchent de me sentir chez moi ici, où j'ai pourtant passé la plus grande part de ma vie d'adulte. Surmonter cette sentence inaugurale implacable face à l'histoire et subvertir le négatif m'a depuis toujours motivée. Je veux comprendre et apprendre comment transformer le noir en lumière, et c'est pourquoi l'oeuvre de Pierre Soulages m'a toujours beaucoup intriguée. Une petite rétrospective de ses oeuvres est accrochée ces jours-ci dans une galerie de l'Upper East side, qui montre bien le génie extraordinaire de cet artiste qui, depuis un siècle, opiniâtrement, fait du noir la mise en valeur des jeux et du mystère de la lumière. Ses tableaux sont noirs, mais ils ne sont pas sombres.
Blog de réflexions personnelles et de notes de lecture. L' intranquille est aussi un journal de bord intérieur, entre pérégrinations et rêves, et une manière de partager des nourritures intellectuelles, artistiques et affectives, une manière de voir le quotidien autrement et chemin faisant, laisser la trace des jours qui passent.
dimanche 15 septembre 2019
samedi 7 septembre 2019
What happened?
Le temps est magnifique, l'air est cristallin et je respire la fin d'été douce et dorée, le muscle de mon mollet droit, déchiré il y a trois semaines, est guéri. Mes enfants sont en pleine santé, joyeux de leur rentrée, le boulot va bien, les collègues sympas et efficaces. Mais je panique. A l'intérieur, je fais mes comptes avec moi-même et je m'en veux, d'abord de ce que je bois (j'ai pris un café et une bière aujourd'hui) et de ce que je mange (j'aime trop le fromage et le chocolat noir), des livres que je ne lis pas assez vite et sans les mémoriser comme il faudrait, du yoga que je pratique depuis des années sans avoir réussi à réaliser mon rêve de faire une certification de prof, des poèmes et des livres que je n'écris que dans ma tête (une synthèse de tout ce que je voudrais que mes enfants sachent sur leur famille et ce qui compte pour moi, une biographie de Souma - leur nounou égyptienne, un essai sur les non violents en pays arabes et musulmans, des poèmes étonnés et intranquilles, qui parleraient de ces instants riches de tous les possibles qui sont le présent de chaque heure et le tissu de toute vie et qui pourtant se trouent, se nouent et parfois nous noient et nous broient, une lecture commentée du Coran, des traductions), de mon blog en jachère, des voyages que j'aimerais entreprendre sans le faire, de la course à pied que j'aspire à pratiquer sans m'en croire vraiment capable, de mon manque d'humour et de sens de la répartie, de mon amour de la musique doublé d'une incapacité crasse à chanter comme il faut, de ma hantise d'être rejetée et moquée et pire de déclencher des conflits, et bien sûr, de ma solitude de femme face à la suite pathétique des échecs amoureux et impasses sentimentales de ma vie. J'ai peur de me trouver un jour rongée par l'ennui et le mépris - dans un miroir se mire l'ombre de ma psyché inversée - une misanthrope moqueuse et excédée, trop fatiguée pour le savoir et le plaisir. Se reposer, voilà sans doute ce que je dois apprendre ou réapprendre, mais c'est excessivement difficile car toute ma sécurité psychologique réside dans l'effort permanent de faire, d'apprendre, d'améliorer, de servir. C'est pourquoi le bouquin de Mukarami sur la course à pied me plait tant: il justifie l'aspiration à toujours tendre au dépassement, au combat incessant et toujours repris contre soi, à la non suffisance, il légitime ma façon d'être et de vivre, de dire non au monde tel qu'il est et à moi telle que je suis, de désirer et de vouloir autrement. Je n'en peux plus de l'injonction à ne pas se plaindre, à tout positiver, à accepter l'ordre des choses et le cours du monde. Etre heureux n'est plus un droit mais un devoir désormais. Alors, tant pis si je ne suis pas heureuse comme il le faudrait, et comme je ne le serai peut-être jamais. Comment le pourrais-je, avec mes chagrins d'amour trop grands, et de pire en pire, et ce sentiment lancinant de culpabilité face aux souffrances immenses que les humains infligent à d'autres humains et à la destruction de notre habitacle terrien? Je veux vivre avec ces trous d'air et mes fêlures, je tiens debout, j'avance, le mouvement est une suite de déséquilibres, c'est bien connu. Je peux endurer mais voilà, aujourd'hui, j'arrête de prétendre que cela ne fait pas mal - je le dis, je ne suis pas stoïque et je refuse de l'être - ras le bol de cette morale de l'héroïsme ordinaire, de l'éthique de la sanctification et du salut par la souffrance et l'acceptation. Je n'avais jamais senti cela à ce point - la colère et la plainte. Pourquoi ne pas oser dire ce que je déteste (autre que des évidences comme la violence et la souffrance d'autrui, et ailleurs que dans le cocon familial - mes enfants ont la chance sans doute de savoir mieux que quiconque ce que j'aime et déteste, dans les petites et les grandes choses)? Déformation professionnelle sans doute, qui n'a fait qu'accuser un trait de caractère initial - la peur du conflit frontal parce que trop tôt soumise par l'expérience d'un rapport asymétrique dans lequel je ne pouvais, enfant, que perdre...
Le déséquilibre psychologique structurel des gens de pouvoir comme le stress servile de ceux qui les entourent m'insupportent de plus en plus. Servir l'état et le collectif est une chose, se mettre au service d'un homme (ou d'une femme) en est une autre. Il n'est pas possible d'échapper au phénomène de cour si on entre au palais, et il y a des gens très bien qui franchissent cette porte. J'essaie de continuer à croire qu'il reste une petite main invisible grâce à laquelle du bien se fait à travers le mal et le bal des égos, et que les caprices ne sont que l'écume d'une eau qui par ailleurs étanche la soif du plus grand nombre, mais c'est parfois difficile. Que de pays qui pèsent beaucoup sur la vie des autres et qui se trouvent aujourd'hui dans des mains inquiétantes de bêtise et d'avidité (Trump, Bolsonaro, Johnson) ou de cynisme autoritaire et violent (Poutine, Xi Jinping, Sissi) voire pire (Kim Jong Un)...nous sommes chanceux, même si l'hubris de la suffisance et de l'excessive confiance en soi est un danger qui rôde chez nous aussi. Comment réussir à vivre dans un environnement et une communauté qui soient structurés autrement que par des rapports de force et de domination? Est-ce même possible? J'ai besoin de trouver une issue à cette logique des jeux de puissance et d'emprise, au delà (ou en deçà) de la vie intérieure et spirituelle, j'ai besoin de connaître quelles sont les réponses -au plan philosophique, scientifique, politique, économique. Quelles sont les vôtres?
Le déséquilibre psychologique structurel des gens de pouvoir comme le stress servile de ceux qui les entourent m'insupportent de plus en plus. Servir l'état et le collectif est une chose, se mettre au service d'un homme (ou d'une femme) en est une autre. Il n'est pas possible d'échapper au phénomène de cour si on entre au palais, et il y a des gens très bien qui franchissent cette porte. J'essaie de continuer à croire qu'il reste une petite main invisible grâce à laquelle du bien se fait à travers le mal et le bal des égos, et que les caprices ne sont que l'écume d'une eau qui par ailleurs étanche la soif du plus grand nombre, mais c'est parfois difficile. Que de pays qui pèsent beaucoup sur la vie des autres et qui se trouvent aujourd'hui dans des mains inquiétantes de bêtise et d'avidité (Trump, Bolsonaro, Johnson) ou de cynisme autoritaire et violent (Poutine, Xi Jinping, Sissi) voire pire (Kim Jong Un)...nous sommes chanceux, même si l'hubris de la suffisance et de l'excessive confiance en soi est un danger qui rôde chez nous aussi. Comment réussir à vivre dans un environnement et une communauté qui soient structurés autrement que par des rapports de force et de domination? Est-ce même possible? J'ai besoin de trouver une issue à cette logique des jeux de puissance et d'emprise, au delà (ou en deçà) de la vie intérieure et spirituelle, j'ai besoin de connaître quelles sont les réponses -au plan philosophique, scientifique, politique, économique. Quelles sont les vôtres?
dimanche 22 avril 2018
Colère du matin
Les méchants gagnent. Les violents sont victorieux. Encore une conclusion schématique qui s'est brusquement formée dans mon esprit, le matin en me levant, comme la décantation des mauvais rêves de la nuit. Le problème est que ce cauchemar n'est pas une simple production de mon inconscient nocturne: il y a eu la guerre en Iraq - premier grand traumatisme pour moi: le droit et la justice ont été défaits dans le réel par le parti de la guerre, qui a imposé sa logique de violence et de force, avec les conséquences que l'on sait ; il y a maintenant la guerre en Syrie - deuxième traumatisme existentiel : le camp des violents et des injustes l'a emporté ; en Palestine, les violents - du côté d'Israël comme du Hamas, sont ceux qui mènent la danse ; en Europe, les xénophobes et les autoritaires progressent et l'égoïsme est presque devenu une vertu patriotique; la lutte contre le terrorisme conduit les démocraties à violer et renoncer à certains de leurs principes et normes de base en matière de liberté, de justice et de respect de la vie d'autrui; les exécutions extra-judiciaires et assassinats ciblés qui faisaient problème il y a 15 ans sont aujourd'hui une pratique parfaitement admise ; des hommes brutaux se sont imposés à la tête des grandes puissances : le pouvoir est donné, ou saisi, par des hommes cyniques, qui s'imposent par le mépris, l'injustice et le mensonge. Netflix a mis en ligne une série documentaire sur Trump: on y voit comment il a fait fortune en usant d'intimidation et de racket fiscal. En Russie, inutile de revenir sur la figure autoritaire et machiste de Poutine, achetant le soutien du peuple par un mélange de fascination, de peur et de prébendes. Bref, la prime est aux violents, aux meurtriers, indifférents à la souffrance des autres - nous voilà dans le règne de l'injustice et de l'immoralité profondes, dans l'absence de tout vrai respect de l'autre. Et ceux qui se rendent coupables de tout cela ont pouvoir, richesse, succès, notoriété. La fin justifie tous les moyens. Retour à un monde hobbesien. Me voici au point de saturation mentale et morale. Paix des cimetières, stabilité et prospérité fondées sur l'injustice et la violence, l'unité et la survie des uns au prix du sacrifice et du rejet des autres, logique de guerre permanente. Comment peut-on accepter une telle inversion des valeurs et des principes sans s'avilir ou tomber dans un absurde nihiliste ? J'oscille entre suffocation, colère, désespoir et détermination à contribuer à tracer une autre voie, une autre vision, pour que mes enfants puissent encore se projeter dans des objectifs et principes altruistes et croire à la possibilité d'un monde meilleur, plus juste, plus équilibré, plus respectueux de chacun et de la nature, moins violent. Au secours!
samedi 21 avril 2018
Rapports
En observant autour de moi les rapports entre adultes, et à force d'interroger la sorte de malaise ou de déception que j'y ai toujours trouvé, au cours des ans, dans ce pays d'Amérique, une impression diffuse s'est soudainement solidifiée en une remarque plus précise, un peu caricaturale: ici, les gens établissent et entretiennent des rapports avant tout utilitaires ou communautaires. La communauté est source de protection et d'énergie, et permet d'affronter le monde extérieur où il s'agit de gagner et de prospérer, dans des échanges contractuels, mais fondés une transaction d'intérêts. Il n'y a pas de temps ni de place pour le reste. J'en ai pris conscience à la faveur d'une autre observation, celle de mon entourage professionnel, où j'ai subitement compris là aussi ce qui ne m'apparaissait pas clairement mais alimente depuis toujours le sentiment de n'être pas à ma place: les membres de l'élite française, en particulier ceux qui sont passés par l'ENA, ont été formés à concevoir les relations interpersonnelles essentiellement comme des rapports de force et de pouvoir. Tout est jugé et organisé à cette aune. C'est donc un monde dangereux, qui crée le vide et la suspicion, pousse les gens à se retrancher derrière une façade qui les protège. Le personnel de l'ONU fonctionne de la même manière, en raison de la nature même des dynamiques bureaucratiques, qui empêchent la confiance. Tout cela épuise...
vendredi 20 avril 2018
Le froid revient
Le froid qui revient. Pauvre coeur troué. Tant d'années, de rencontres, de kilomètres parcourus, de choses lues et dites...j'en reviens toujours à cela, le mystère insondable qui fait qu'à cette heure, je n'arrive pas à comprendre pourquoi la cruauté continue de sévir à si grande échelle, pourquoi nous voyons la poutre dans l'oeil des autres sans voir la paille qui obstrue le nôtre, pourquoi l'amour est si difficile. Et pourtant, la laine des jours dévide un fil, il doit bien y avoir une trame (je me le dis pour mieux m'en convaincre), quand bien même son motif me reste obscur (ma vue baisse), Pénélope tisse et retisse. Il faut accepter la perte et le dépouillement, c'est sans doute la leçon, et accueillir les occasions de réjouissance et de plaisir, quand elles viennent. Les enfants m'entourent de leurs grands bras et de leurs regards d'adolescents, avec la grâce de leur âge plein d'espoir et d'humour de vivre. J'aurais tant désiré connaître la chaleur suave d'un partage intime, au long cours, corps et âme, avec un autre tendrement aimé, qui fasse de l'altérité le ressort et le principe du quotidien, qui en exalte la douceur et la beauté. J'aurais tant souhaité constater les progrès de la paix et de la justice, et voir la violence régresser. Il n'en est rien. Le froid revient. Ici, l'hiver poursuit sa morsure un mois après l'avènement du printemps. Pauvre coeur brisé.
dimanche 25 février 2018
Yoga
28 ans de yoga...ma pratique a été plus ou moins régulière, parfois intense, à d'autres périodes plus pointilliste, mais toujours présente, centrale en fait. Je me rends compte en écrivant ces lignes que son début coïncide avec mon entrée dans la vie adulte - une pensée qui ne m'avait encore jamais traversé l'esprit! Ce fut, au départ, un chemin pour dissiper les maux de ventre qui me nouaient l'estomac sans raison médicale identifiable ; c'est au bout du compte, une manière d'apprendre à mieux vivre, en commençant par la base: apprendre à respirer conduit à s'exercer à accorder le corps et de l'esprit, le mouvement et le souffle. Le yoga est pour moi une thérapeutique contre le mal de vivre, ma manière de rechercher l'union des contraires, de trouver une forme d'harmonie et d'équilibre dans mon intranquillité première. J'y suis venue pour guérir, et le yoga reste fondamentalement pour moi une voie de guérison. Soin préventif et curatif, un préalable à tout le reste! Mais aussi et surtout approche globale et interconnectée de l'être, dans toutes ses dimensions - biologique, sensorielle, émotionnelle, affective, intellectuelle, morale, spirituelle. Et pourtant, curieusement, sans m'en cacher, j'en parle assez peu, sans doute par peur de dire des banalités et de tenir un discours qui serait perçu comme tarte à la crème ou du prêt-à-penser sorti tout droit du rayon des techniques de bien-être et de développement personnel. Le yoga n'est pas pour moi l'activité qu'on coince entre une séance de manucure et une virée de courses, et le studio de yoga n'est pas l'équivalent d'une salle de sport. C'est mon kit survie - le yoga m'a sauvée de bien des maladies, m'a aidée à faire naître mes enfants, à préserver ma santé et la leur, à remonter la pente de mes chagrins - et c'est aussi l'apprentissage d'un mode d'être ouvert et libre, sans jugement et aimant, une discipline qui libère et unifie - le psychique et le corporel, l'énergie et la matière. La puissance intégratrice du yoga est sans doute ce qui le rend pour moi si complet et en fait un instrument existentiel irremplaçable, puisqu'il s'applique à toute ma personne et exerce tous les niveaux et aspects de mon être.
"Garde intacte ta faiblesse. Ne cherche pas à acquérir des forces, de celles surtout qui ne sont pas pour toi, qui ne te sont pas destinées, dont la nature te préservait, te préparant à autre chose"
"Inouïes dans le règne animal, les mains, ces instruments d'affection et de douceur, qui mieux que n'importe quoi donnent des caresses.
Aussi les animaux qui acceptent de la laisser faire (la main) ne redeviennent plus eux-mêmes, sauf toutefois les félins qui en temps voulu savent reprendre leur vie aventurière.
(...) Par là, par cette possibilité particulière de caresse, cet être agressif, impatient et calculateur qu'est l'homme a une sorte de prédestination à la douceur et à l'affection...Les enfants si on les laissait faire caresseraient des loups, des panthères. Cette singularité, mal mêlée à leurs autres inclinations, indiquerait pourquoi, malgré de bonnes et parfois très bonnes intentions, les hommes dans l'ensemble sont brouillons et - peuples aussi bien qu'individus - restent des instables à qui on ne peut longtemps se fier.
Dans la main, plus de tendresse que dans le coeur et dans le coeur plus que dans la conduite.
(...)
Mais alors? Si elle est réellement à la base, il faudrait bien y revenir, la traiter à part, sans gymnastique toutefois ni 'Mudras'. Elle n'a été que trop endoctrinée et tournée vers l'utile.
Trouve "ses' gestes, ceux dont elle a envie et qui sont des gestes pour te refaçonner. Danse de la main. Observes-en les effets immédiats et lointains. Capital, surtout si tu ne fus jamais un homme à gestes. C'est cela qui te manquait et non pas ce que vainement tu cherchais au dehors, en études et compilations. Indéfiniment, reviens à la main."
Henri Michaux - Poteaux d'angle
texte des yogas sutra de Patanjali:
file:///Users/annemohsen/Downloads/2013%20les%20sutra%20(1).pdf
https://www.yogaraphael.fr/textes-de-pata%C3%B1jali/
"Garde intacte ta faiblesse. Ne cherche pas à acquérir des forces, de celles surtout qui ne sont pas pour toi, qui ne te sont pas destinées, dont la nature te préservait, te préparant à autre chose"
"Inouïes dans le règne animal, les mains, ces instruments d'affection et de douceur, qui mieux que n'importe quoi donnent des caresses.
Aussi les animaux qui acceptent de la laisser faire (la main) ne redeviennent plus eux-mêmes, sauf toutefois les félins qui en temps voulu savent reprendre leur vie aventurière.
(...) Par là, par cette possibilité particulière de caresse, cet être agressif, impatient et calculateur qu'est l'homme a une sorte de prédestination à la douceur et à l'affection...Les enfants si on les laissait faire caresseraient des loups, des panthères. Cette singularité, mal mêlée à leurs autres inclinations, indiquerait pourquoi, malgré de bonnes et parfois très bonnes intentions, les hommes dans l'ensemble sont brouillons et - peuples aussi bien qu'individus - restent des instables à qui on ne peut longtemps se fier.
Dans la main, plus de tendresse que dans le coeur et dans le coeur plus que dans la conduite.
(...)
Mais alors? Si elle est réellement à la base, il faudrait bien y revenir, la traiter à part, sans gymnastique toutefois ni 'Mudras'. Elle n'a été que trop endoctrinée et tournée vers l'utile.
Trouve "ses' gestes, ceux dont elle a envie et qui sont des gestes pour te refaçonner. Danse de la main. Observes-en les effets immédiats et lointains. Capital, surtout si tu ne fus jamais un homme à gestes. C'est cela qui te manquait et non pas ce que vainement tu cherchais au dehors, en études et compilations. Indéfiniment, reviens à la main."
Henri Michaux - Poteaux d'angle
texte des yogas sutra de Patanjali:
file:///Users/annemohsen/Downloads/2013%20les%20sutra%20(1).pdf
https://www.yogaraphael.fr/textes-de-pata%C3%B1jali/
dimanche 11 février 2018
Me too?
Tant de femmes agressées. Avant-hier, hier, aujourd'hui ; au fil des millénaires, des siècles, des années et des jours. Violence. Abus. Exploitation. Humiliation. Brutalisées, abandonnées, sacrifiées, elles subissent le pire là où la force du patriarcat, la pauvreté et les inégalités se conjuguent pour les reléguer au bas de l'ordre social et les condamner à une vie d'oppression à tous les niveaux. Quand la misère sévit, les femmes souffrent encore plus, c'est une évidence. Nous, femmes d'occident et de pays riches, sommes des privilégiées et nous avons, de ce fait, une responsabilité supplémentaire, un devoir premier de solidarité (ce qui n'enlève rien à la responsabilité des hommes, plus importante compte-tenu de leur puissance et richesse supérieures - qu'il s'agisse des occidentaux en général ou, ailleurs, des hommes de pouvoir).
La profonde inégalité du monde, le rapport de domination établi par les hommes sont un donné structuré et structurant de la condition humaine qui n'a émergé à ma conscience que progressivement, et je dois dire, tardivement - je ne m'en suis pas préoccupée avant d'entrer dans la vie professionnelle. Je ne voyais que la chance incroyable que j'avais, qui m'interdisait de jeter un regard vraiment critique et encore plus de considérer que je pouvais être une victime, fut-ce seulement indirectement par appartenance à un groupe - celui des femmes- maltraité historiquement et toujours second dans l'ordonnancement de l'économie et du pouvoir. Contrairement à mes grands-mères et à ma mère, j'arrivais à l'âge adulte en jouissant vraiment des mêmes droits, des mêmes libertés, des mêmes possibilités que les garçons et jeunes hommes de mon âge. La bataille historique était gagnée. Les générations précédentes avaient fait le travail. Du moins, je croyais. On pouvait porter la lutte et l'attention ailleurs. Ce qui me hantait était l'injustice et le mal que les humains font aux autres humains - l'absurdité des souffrances, la dureté des inégalités et la folie de la guerre. Je n'avais pas une pensée "genrée".
Cela a changé avec l'entrée dans la vie active et s'est approfondi au fil du temps. En quittant un monde étudiant égalitaire, ce que je ne voyais pas encore m'est apparu: le déséquilibre numérique aux postes de responsabilité et la persistance de modes d'organisation laissant aux femmes la charge première de la sphère privée et familiale. Le partage des tâches professionnelles n'était pas accompagné par un mouvement de partage équivalent des tâches domestiques. L'égalité était un postulat, mais souffrait d'un déni de réalité. J'en reste profondément convaincue aujourd'hui: tant que les hommes n'investiront pas autant que les femmes la sphère familiale et privée, les déséquilibres et le rapport de domination social, politique et économique et toutes les injustices et souffrances qu'ils génèrent perdureront. Le livre récent d'Olivia Gazalé, le mythe de la virilité, est un exposé magistral de la construction de ce rapport de domination au fil de l'histoire, et de l'enfermement collectif qu'il représente, tant pour les femmes que pour les hommes eux-mêmes. Nous, les femmes, avons depuis deux siècles, considérablement travaillé et réfléchi à notre "condition" - c'est un mouvement réel de libération individuelle et collective. Les hommes aujourd'hui, souffrent de ne pas bénéficier d'un héritage et corpus équivalent sur la "condition masculine". J'aime à dire, en plaisant à moitié, que nous avons besoin d'un mouvement de libération des hommes, mais je le pense vraiment - que les hommes se libèrent de leurs conditionnements serait salutaire pour tous. Fort heureusement, ils sont de plus en plus nombreux à entamer ce travail, à remettre en cause les schémas du passé, à porter un autre regard sur eux-mêmes et sur les femmes, à vivre et à travailler autrement, à faire une place égale aux femmes, et à vouloir, pour leurs filles, la même chose que pour leurs fils et pour eux-mêmes. J'ai rencontré et travaillé avec beaucoup d'hommes formidables de ce point de vue là.
Après celle de l'accès des femmes au monde du travail et à tous les postes de responsabilité dans celui-ci, la bataille de la parité est double pour les hommes: celle du plein partage des responsabilités domestiques et parentales (objectif pour lequel les femmes ont aussi leur part de chemin à faire) et celle de leur investissement dans les secteurs d'activité professionnelle caractérisés par des taux de féminisation très élevé. Instituteurs, infirmiers, assistants sociaux, psychologues: il faudrait davantage d'hommes pour notre bien être collectif et en particulier celui de nos enfants. Il faut en finir avec un modèle et une répartition vouant les femmes aux professions de service, y compris le service public, et aux hommes celles où l'on peut gagner le plus d'argent ou exercer le plus de pouvoir ou de puissance. Hommes et femmes ne sont pas identiques, mais ils sont appelés aux mêmes fonctions. La différence n'est pas ontologique, elle est sexuée - sa raison d'être est biologique: assurer la reproduction de l'espèce. Il faut tenir compte des différences physiques et psychologiques entre hommes et femmes, de leurs rythmes biologiques propres, mais cela ne saurait, en aucun cas, justifier une ségrégation des rôles, des fonctions et responsabilités - sur le plan social, économique, politique, familial, intellectuel, scientifique, moral ou spirituel. L'égalité doit être totale et complète. Y parvenir implique une transformation radicale, un ré-agencement profond. Cela ne peut pas être brutal, donc cela ne peut pas prendre une forme révolutionnaire. Cependant, l'objectif et le résultat sont bien ceux d'une révolution: un bouleversement et une restructuration complète de l'ordre social ancien.
Et cela commence dans nos têtes: alors que tout mon parcours professionnel participe, entre autres (j'ai bien d'autres motivations en sus de celle-là), à la volonté de démontrer et pratiquer cette égalité, je dois lutter, continuellement, contre le sentiment d'être moins capable et, de facto, contre une capacité moindre à m'affirmer et m'exprimer publiquement. Je reste intérieurement, trop souvent, tétanisée. J'ai longtemps pensé que c'était uniquement une question de personnalité - une faille d'introvertie (et cela l'est, en effet, en grande partie). Mais je dois faire le constat aujourd'hui que c'est aussi une intériorisation collective des femmes (et peut-être davantage les femmes françaises, germaniques ou latines que celles qui appartiennent au monde anglo-saxon), le résultat de la fameuse auto-censure ou du syndrome de l'imposteur brillamment dénoncés il y a quelques années par Sheryl Sandberg dans son best-seller "Lean in".
La vague de témoignages déclenchée par le mouvement #Metoo m'a d'abord sidérée et laissée sans voix: j'ai été intérieurement terrassée d'apprendre que tant de femmes, là où je vis, aux Etats-Unis et en France, avaient été et continuaient d'être les victimes d'agressions et abus sexuels aussi graves et en aussi grand nombre, y compris dans des milieux sociaux aisés et a priori plus protégés. Une fois de plus, je me suis sentie terriblement privilégiée et chanceuse - d'avoir échappé à toute agression sexuelle, et responsable - de chercher à contribuer à en finir avec ce type de violence. J'avais surtout réfléchi à la question de l'inégalité professionnelle, économique et sociale des femmes, mais en fait assez peu aux comportements sexistes et au machisme sexuel, et je me suis sentie prise au dépourvu: comment une telle omerta a-t-elle été possible? Nous avons accepté et nourri le silence et celui-ci m'a rendue aveugle et sourde, y compris à ma propre expérience: au départ, je ne me suis pas sentie concernée et ai pensé que j'avais été heureusement épargnée, il m'a fallu des semaines pour me remémorer les anecdotes, certaines remarques sexistes ou des choses beaucoup moins anodines et leur donner leur vraie étiquette. Ce faisant, il m'est apparu clairement que c'est dans les situations de plus grande vulnérabilité (jeune, étudiante, jeune professionnelle, jeune mère) que j'ai été le plus exposée au sexisme comme au machisme sexuel (se faire toucher les cheveux dans un ascenseur par un haut responsable par exemple, ou poussée à accepter un flirt appuyé dans le cadre d'un job étudiant). Acquérir un statut social et gagner en pouvoir au plan professionnel m'a protégée. Il faut donc, en priorité, protéger les femmes les plus vulnérables - que leur vulnérabilité relève de leur âge (les plus jeunes, les plus âgées et dépendantes), de leur statut social, de leur précarité économique ou de leurs positions professionnelles subalternes, et, surtout, leur donner les moyens de ne plus être victimes et de gagner en capacité et en pouvoir. En anglais, cela s'appelle "empowerment". Ce n'est pas un vain slogan, cela doit être notre objectif.
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