lundi 21 décembre 2020

Le goût du beurre en Amérique

Un thé noir bien chaud à la main, je suis plongée dans la lecture de "Rumeurs d'Amérique" d'Alain Mabanckou, mon dernier coup de coeur littéraire - un auteur congolais longtemps résident en France et aujourd'hui établi en Californie, dont j'ai découvert les livres l'été dernier dans la librairie du musée du Quai Branly. Il vient de publier ce nouvel ouvrage, un recueil de brèves chroniques américaines. Son sens de l'observation, précis mais tendre,  son style, facile sans être superficiel, sans apprêt tout en étant réfléchi, et surtout les sujets qu'il aborde, me plaisent.  Le jetlag m'a fait lever tôt, j'ai un peu faim et je me laisse tenter par une tartine de pain grillé. Yann aussi, du haut de ses 15 ans d'habitude étonnamment peu pressé de manger.  Alors que je commence à grignoter, il fait la grimace  "- ah, dit-il, j'avais oublié que le beurre  n'est pas bon ici... " Moi, je trouve un certain plaisir à cette saveur plus fade, redoublé par cette soudaine prise de conscience grâce à la remarque de mon fils - le goût du beurre est différent en Amérique! Le voyage n'est pas seulement un déplacement du regard, mais une autre expérience sensorielle, y compris dans le plus familier. La sensation de décalage est une surprise d'autant plus grande quand elle se vit dans le plus banal du quotidien et ce qui, au premier abord et en apparence, parait identique.  Revenir à New York cette fois-ci est comme l'apparition progressive, sur la ligne d'horizon, de la forme de mon passé. Il y a tant de choses que je n'avais pas vues, pas comprises. Je suis passée à côté, très largement, de la culture populaire - des chanteurs, des rappeurs, des grandes équipes de basket, foot ou baseball et de leurs héros sportifs, de la vie familiale des banlieues - j'ai suivi les péripéties politiques, me suis intéressée aux évolutions sociales, à la vie des idées, à l'histoire des africains américains et aux minorités, j'ai aimé l'esthétique urbaine, exotique dans son gigantisme et ses lignes industrielles comme dans son aspect de chantier perpétuel, je me suis délectée de l'intensité artistique de la ville, émerveillée comme tout le monde par le kaléidoscope culturel que chacun peut admirer en collant son oeil sur sa lorgnette, peu importe laquelle, cela marche ici de tant de points de vue différents, mais j'ai l'impression d'être restée en dehors, de ne pas appartenir vraiment à cette ville en dépit des 16 ans vécus et des 3 enfants nés ici. Pourquoi? Peut-être parce que les Etats-Unis sont pour moi le pays des désillusions et des déceptions,  le lieu de la confrontation brutale avec le réel et la dureté du monde adulte.  L'inverse d'un rêve.  Peut–être aussi parce que New York est trop un patchwork et un lieu de passage pour qu'on y sente une personnalité marquée ou spécifique puisque tout y est, que tous y sont....Mais peut-être le magnétisme de cette ville réside-t-il précisément dans son irréductible étrangeté ; ce n'est pas moi qui résiste, c'est elle qui m'oppose une identité insaisissable et changeante. Elle interdit de s'attacher trop, que ce soit à un lieu - en perpétuel mouvement, les ouvertures et fermetures se succèdent et tel bar, café ou magasin qu'on aimait aura disparu demain, remplacé par un autre, ou même aux gens, pressés, transactionnels, vite repartis. Dans tout ce flux divers jusqu'au vertige, l'énergie créatrice est visible comme nulle part ailleurs, une puissance étonnante qui ne laisse aucun doute que New York renaitra toujours de ses cendres, comme un joli  article paru récemment dans le journal le Monde le dit très bien.  Le symbole le plus beau de la ville, ce qui s'approche le plus d'un emblème éternel, sera toujours, pour moi comme pour bien d'autres, la statue qui se dresse à l'embouchure de l'Hudson et de l'East river, à la pointe de Manhattan, nouveau colosse aux traits de femme qui continue de tendre sa torche, pour accueillir et pour éclairer, avec les mots d'Emma Lazarus gravés à ses pieds  :  

Not like the brazen giant of Greek fame,
With conquering limbs astride from land to land;
Here at our sea-washed, sunset gates shall stand
A mighty woman with a torch, whose flame
Is the imprisoned lightning, and her name
Mother of Exiles. From her beacon-hand
Glows world-wide welcome; her mild eyes command
The air-bridged harbor that twin cities frame.

"Keep, ancient lands, your storied pomp!" cries she
With silent lips. "Give me your tired, your poor,
Your huddled masses yearning to breathe free,
The wretched refuse of your teeming shore.
Send these, the homeless, tempest-tost to me,
I lift my lamp beside the golden door!"

Aujourd'hui, New York est comme les autres, figée, à côté de ses pompes, l'ombre d'elle-même, dépersonnalisée par le corona, ce virus si corrosif, sans mauvais jeu de mots.  Il attaque toutes les surfaces, et surtout ce bien si précieux de l'être ensemble,  -frustrant notre besoin d'être les uns avec les autres,  interdisant la mise en présence charnelle et incarnée des êtres, la convivialité, la fête....plus de surprise, de hasard heureux et créateur. 
 
 Comme vous, en tous cas la plupart, avant mars 2020,  je voyais les films et les séries télé sur les menaces épidémiques comme un divertissement à ranger sur l'étagère de la fiction d'épouvante et j'ai été surprise. Comme vous, je sais que la pandémie  est sans précédent, puisque jamais nous n'avons été aussi globalisés ni si nombreux, et qu'elle a des dimensions cataclysmiques parce qu'elle tue à grande échelle, et surtout parce qu'elle détruit sur son passage l'économie et la vie en société telles que nous en avions l'habitude, qu'elle menace les libertés et les droits, nous met en situation de privation individuelle et collective, nous plonge dans la peur, le stress, l'exil, et nous oblige à une réorganisation massive et radicale dans un laps de temps extraordinairement bref et nous plonge dans une peur qui nous porte dangereusement aux confins de la psychose. Nous sommes contraints à l'enfermement et à la séparation, trop proches ou trop loin de ceux que nous aimons. Nous voilà confrontés,  au quotidien, au manque et à la mort. Nous voilà aussi, tous les jours, face à la répétition fastidieuse du cycle de notre survie - les petits gestes nécessaires pour nourrir, laver, entretenir - et pour faire ce qu'il faut pour continuer, opiniâtrement, à participer au jeu social selon des modalités désormais virtuelles, dans cet espace numérique fait d'écrans qui médiatisent l'image et le son. C'est un monde sans odeur ni texture. Dans la Peste, Camus parle d'abstraction et d'une forme d'objectivité qui émergent dans l'observation et dans les rapports à soi et aux autres. Je crois qu'il parle du détachement qui se fait dans la mise à distance forcée par le confinement et les mesures prophylactiques. 

La conscience de soi et des autres est avivée dans une crise. Une simplification a lieu: on décante, on ralentit, on range, on jette, on élimine le superflu. L'appauvrissement du quotidien est une occasion d'épuration, de décantation et d'affinage (selon qu'on préfère la métaphore de l'eau ou la comparaison avec le fromage). Cela fait du bien de sortir de la course, de la frénésie, de la compétition, prendre conscience qu'on peut vivre autrement, en consommant moins. Cette crise nous montre très clairement comment le monde d'après pourrait suivre un chemin économique plus soutenable pour la planète, plus respectueux de l'environnement et des écosystèmes vivants, comment nous pourrions aussi être plus solidaires et plus justes. Le traumatisme appelle l'héroïsme. On voudrait qu'il en reste, à jamais, une transformation salvatrice, une rupture qui refonde, que d'un mal puisse sortir un bien. Mais dans les faits,  la maladie accomplit son oeuvre destructrice et enfermante- la pauvreté, que nous commencions à sérieusement réduire à l'échelle de la planète,  remonte, les gens souffrent, les injustices et inégalités augmentent, on se divise et se fragmente, les logiques capitalistiques et financières pourraient imposer un modèle susceptible de nous réduire en producteurs efficaces et obéissants de valeur, et en consommateurs non moins dociles et immobiles, privés de culture, d'art, de fête et de partage.  Comme ceux qui ont un métier de bureau et ne l'ont pas perdu, me voilà  happée dans un flux irrésistible et lassant de rendez-vous, entretiens, réunions à distance- je suis plus dépossédée que jamais de mon temps qui m'échappe et m'appelle à me coller devant un écran ou derrière un téléphone, pour faire acte de présence, donner la répartie, faire avancer une idée. Quelle comédie - on est en plein simulacre et le risque est à un moment de décrocher, de ne plus y croire - effondrement alors du théâtre et de la vie. Pour survivre et traverser, il est impératif d'y voir une période d'exception, qui a eu un début et qui aura une fin. La difficulté est l'impossibilité d'apercevoir cette fin - il n'y a pas d'échéance claire, le temps glisse. Prévoir et planifier deviennent beaucoup plus difficiles et aléatoires.  Dans tout ce brouillard épidémique, je voudrais qu'il soit possible de réussir à tracer une ligne d'horizon, et un chemin pour conduire nos pas. Je me répète chaque matin qu'il ne faut pas se décourager, ne pas céder à la peur, garder espoir, faire de l'inquiétude un aiguillon et en tirer une forme paradoxale de sérénité. Je voudrais une certitude, je n'en ai pas, s'agissant des affaires du monde, mais tout de même quelques convictions, s'agissant des principes à suivre. Ce qu'Albert Camus a dit et écrit, ce que Victor Hugo a dit et écrit, peut nous guider.  S'il est deux auteurs français que je veux recommander aujourd'hui à mes enfants de lire, c'est eux. Ne rien lâcher en matière de liberté et de justice. Persévérer, et aimer. Cela fait naïf, un peu niais presque, mais on en revient toujours là, parce que c'est vital, léger et profond, comme l'air qu'on respire....  

dimanche 15 septembre 2019

Back to the future

Est-ce l'angoisse du nid presque vide qui me pousse à me replonger dans le passé? Quoi qu'il en soit des agencements intérieurs qui se refont presqu'à mon insu alors que Youssef s'apprête à prendre son envol vers Chicago, le hasard du calendrier a mis à l'affiche du cinéma le plus proche un film récent sur la guerre d'Irak de 2003, contre laquelle j'avais tant mis de mon énergie de jeune diplomate française au Conseil de sécurité, alors que Youssef était au berceau..."Official secrets" est un film qui revient sur la manipulation délibérée du renseignement par les autorités américaines et britanniques afin d'obtenir une autorisation de la guerre par les Nations Unies, et plus précisément, sur une opération de renseignement destinée à faire pression sur les diplomates des Etats membres non permanents  du Conseil de sécurité afin qu'ils apportent leur soutien à l'opération américaine. C'est aussi un hommage vibrant au courage d'une jeune femme des services secrets britanniques qui fit fuiter un document top secret dans la presse pour tenter de susciter une mobilisation de l'opinion publique de nature à prévenir la guerre. Lorsque les opérations militaires sont finalement lancées, alors même que le Conseil de sécurité n'a pas voté de résolution pour les autoriser, elle fait le constat amer de l'échec. Jamais je n'oublierai ce traumatisme : avoir réussi à faire triompher la raison et la responsabilité dans le cadre diplomatique, avoir avec soi la majorité de l'opinion comme des Etats, mais avoir échoué à faire entendre raison au plus fort, et n'avoir pu stopper la force de déployer sa violence.  Impossible pour moi depuis d'admirer et d'aimer vraiment les Etats-Unis, qui ont pu commettre une telle injustice. Là résident sans doute les réticences et inhibitions qui m'empêchent de me sentir chez moi ici, où j'ai pourtant passé la plus grande part de ma vie d'adulte. Surmonter cette sentence inaugurale implacable face à l'histoire et subvertir le négatif m'a depuis toujours motivée. Je veux comprendre et apprendre comment transformer le noir en lumière, et c'est pourquoi l'oeuvre de Pierre Soulages m'a toujours beaucoup intriguée. Une petite rétrospective de ses oeuvres est accrochée ces jours-ci dans une galerie de l'Upper East side, qui montre bien le génie extraordinaire de cet artiste qui,  depuis un siècle, opiniâtrement, fait du noir la mise en valeur des jeux et du mystère de la lumière. Ses tableaux sont noirs, mais ils ne sont pas sombres.

samedi 7 septembre 2019

What happened?

Le temps est magnifique, l'air est cristallin et je respire la fin d'été douce et dorée, le muscle de mon mollet droit, déchiré il y a trois semaines, est guéri. Mes enfants sont en pleine santé, joyeux de leur rentrée, le boulot va bien, les collègues sympas et efficaces. Mais je panique. A l'intérieur, je fais mes comptes avec moi-même et je m'en veux, d'abord de ce que je bois (j'ai pris un café et une bière aujourd'hui) et de ce que je mange (j'aime trop le fromage et le chocolat noir),  des livres que je ne lis pas assez vite et sans les mémoriser comme il faudrait, du yoga que je pratique depuis des années sans avoir réussi à réaliser mon rêve de faire une certification de prof, des poèmes et des livres que je n'écris que dans ma tête (une synthèse de tout ce que je voudrais que mes enfants sachent sur leur famille et ce qui compte pour moi, une biographie de Souma - leur nounou égyptienne, un essai sur les non violents en pays arabes et musulmans,  des poèmes étonnés et intranquilles, qui parleraient de ces instants riches de tous les possibles qui sont le présent de chaque heure et le tissu de toute vie et qui pourtant se trouent, se nouent et parfois nous noient et nous broient,  une lecture commentée du Coran, des traductions), de mon blog en jachère, des voyages que j'aimerais entreprendre sans le faire, de la course à pied que j'aspire à pratiquer sans m'en croire vraiment capable, de mon manque d'humour et de sens de la répartie, de mon amour de la musique doublé d'une incapacité crasse à chanter comme il faut,  de ma hantise d'être rejetée et moquée et pire de déclencher des conflits, et bien sûr, de ma solitude de femme face à la suite pathétique des échecs amoureux et impasses sentimentales de ma vie.  J'ai peur de me trouver un jour rongée par l'ennui et le mépris - dans un miroir se mire l'ombre de ma psyché inversée  - une misanthrope moqueuse et excédée, trop fatiguée pour le savoir et le plaisir.  Se reposer, voilà sans doute ce que je dois apprendre ou réapprendre, mais c'est excessivement difficile car toute ma sécurité psychologique réside dans l'effort permanent de faire, d'apprendre, d'améliorer, de servir. C'est pourquoi le bouquin de Mukarami sur la course à pied me plait tant: il justifie l'aspiration à toujours tendre au dépassement, au combat incessant et toujours repris contre soi, à la non suffisance, il légitime ma façon d'être et de vivre, de dire non au monde tel qu'il est et à moi telle que je suis, de désirer et de vouloir autrement. Je n'en peux plus de l'injonction à ne pas se plaindre, à tout positiver, à accepter l'ordre des choses et le cours du monde. Etre heureux n'est plus un droit mais un devoir désormais. Alors, tant pis si je ne suis pas heureuse comme il le faudrait, et comme je ne le serai peut-être jamais. Comment le pourrais-je, avec mes chagrins d'amour trop grands, et de pire en pire, et ce sentiment lancinant de culpabilité face aux souffrances immenses que les humains infligent à d'autres humains et à la destruction de notre habitacle terrien? Je veux vivre avec ces trous d'air et mes fêlures, je tiens debout, j'avance, le mouvement est une suite de déséquilibres, c'est bien connu. Je peux endurer mais voilà, aujourd'hui, j'arrête de prétendre que cela ne fait pas mal - je le dis, je ne suis pas stoïque et je refuse de l'être - ras le bol de cette morale de l'héroïsme ordinaire, de l'éthique de la sanctification et du salut par la souffrance et l'acceptation. Je n'avais jamais senti cela à ce point - la colère et la plainte. Pourquoi ne pas oser dire ce que je déteste (autre que des évidences comme la violence et la souffrance d'autrui,  et ailleurs que dans le cocon familial - mes enfants ont la chance sans doute de savoir mieux que quiconque ce que j'aime et déteste, dans les petites et les grandes choses)? Déformation professionnelle sans doute, qui n'a fait qu'accuser un trait de caractère initial - la peur du conflit frontal parce que trop tôt soumise par l'expérience d'un rapport asymétrique dans lequel je ne pouvais, enfant, que perdre...
Le déséquilibre psychologique structurel des gens de pouvoir comme le stress servile de ceux qui les entourent  m'insupportent de plus en plus. Servir l'état et le collectif est une chose, se mettre au service d'un homme (ou d'une femme) en est une autre. Il n'est pas possible d'échapper au phénomène de cour si on entre au palais, et il y a des gens très bien qui franchissent cette porte. J'essaie de continuer à croire qu'il reste une petite main invisible grâce à laquelle du bien se fait à travers le mal et le bal des égos, et que les caprices ne sont que l'écume d'une eau qui par ailleurs étanche la soif du plus grand nombre, mais c'est parfois difficile. Que de pays qui pèsent beaucoup sur la vie des autres et qui se trouvent aujourd'hui dans des mains inquiétantes de bêtise et d'avidité (Trump, Bolsonaro, Johnson) ou de cynisme autoritaire et violent (Poutine, Xi Jinping, Sissi) voire pire (Kim Jong Un)...nous sommes chanceux, même si l'hubris de la suffisance et de l'excessive confiance en soi est un danger qui rôde chez nous aussi. Comment réussir à vivre dans un environnement et une communauté qui soient structurés autrement que par des rapports de force et de domination? Est-ce même possible? J'ai besoin de trouver une issue à cette logique des jeux de puissance et d'emprise, au delà  (ou en deçà) de la vie intérieure et spirituelle, j'ai besoin de connaître quelles sont les réponses -au plan philosophique, scientifique, politique, économique. Quelles sont les vôtres?

dimanche 22 avril 2018

Colère du matin

Les méchants gagnent. Les violents sont victorieux. Encore une conclusion schématique qui s'est brusquement formée dans mon esprit, le matin en me levant, comme la décantation des mauvais rêves de la nuit. Le problème est que ce cauchemar n'est pas une simple production de mon inconscient nocturne: il y a eu la guerre en Iraq - premier grand traumatisme pour moi: le droit et la justice ont été défaits dans le réel par le parti de la guerre, qui a imposé sa logique de violence et de force, avec les conséquences que l'on sait ; il y a maintenant la guerre en Syrie - deuxième traumatisme existentiel : le camp des violents et des injustes l'a emporté ; en Palestine, les violents - du côté d'Israël comme du Hamas, sont ceux qui mènent la danse ; en Europe, les xénophobes et les autoritaires progressent et l'égoïsme est presque devenu une vertu patriotique;  la lutte contre le terrorisme conduit les démocraties à violer et renoncer à certains de leurs principes et normes de base en matière de liberté, de justice et de respect de la vie d'autrui; les exécutions extra-judiciaires et assassinats ciblés qui faisaient problème il y a 15 ans sont aujourd'hui une pratique parfaitement admise ; des hommes brutaux se sont imposés à la tête des grandes puissances : le pouvoir est donné, ou saisi, par des hommes cyniques, qui s'imposent par le mépris, l'injustice et le mensonge. Netflix a mis en ligne une série documentaire sur Trump: on y voit comment il a fait fortune en usant d'intimidation et de racket fiscal. En Russie, inutile de revenir sur la figure autoritaire et machiste de Poutine, achetant le soutien du peuple par un mélange de fascination, de peur et de prébendes. Bref, la prime est aux violents, aux meurtriers, indifférents à la souffrance des autres - nous voilà dans le règne de l'injustice et de l'immoralité profondes, dans l'absence de tout vrai respect de l'autre. Et ceux qui se rendent coupables de tout cela ont pouvoir, richesse, succès, notoriété.  La fin justifie tous les moyens. Retour à un monde hobbesien. Me voici au point de saturation mentale et morale. Paix des cimetières, stabilité et prospérité fondées sur l'injustice et la violence, l'unité et la survie des uns au prix du sacrifice et du rejet des autres, logique de guerre permanente. Comment peut-on accepter une telle inversion des valeurs et des principes sans s'avilir ou tomber dans un absurde nihiliste ? J'oscille entre suffocation, colère, désespoir et détermination à contribuer à tracer une autre voie, une autre vision, pour que mes enfants puissent encore se projeter dans des objectifs et principes altruistes et croire à la possibilité d'un monde meilleur, plus juste, plus équilibré, plus respectueux de chacun et de la nature, moins violent. Au secours!

samedi 21 avril 2018

Rapports

En observant autour de moi les rapports entre adultes, et à force d'interroger la sorte de malaise ou de déception que j'y ai toujours trouvé, au cours des ans, dans ce pays d'Amérique, une impression diffuse s'est soudainement solidifiée en une remarque plus précise, un peu caricaturale: ici, les gens établissent et entretiennent des rapports avant tout utilitaires ou communautaires. La communauté est source de protection et d'énergie, et permet d'affronter le monde extérieur où il s'agit de gagner et de prospérer, dans des échanges contractuels, mais fondés une transaction d'intérêts. Il n'y a pas de temps  ni de place pour le reste.  J'en ai pris conscience à la faveur d'une autre observation, celle de mon entourage professionnel, où j'ai subitement compris là aussi ce qui ne m'apparaissait pas clairement mais alimente depuis toujours le sentiment de n'être pas à ma place: les membres de l'élite française, en particulier ceux qui sont passés par l'ENA, ont été formés à concevoir les relations interpersonnelles essentiellement comme des rapports de force et de pouvoir. Tout est jugé et organisé à cette aune. C'est donc un monde dangereux, qui crée le vide et la suspicion, pousse les gens à se retrancher derrière une façade qui les protège. Le personnel de l'ONU fonctionne de la même manière, en raison de la nature même des dynamiques bureaucratiques, qui empêchent la confiance. Tout cela épuise...

vendredi 20 avril 2018

Le froid revient

Le froid qui revient. Pauvre coeur troué. Tant d'années, de rencontres, de kilomètres parcourus, de choses lues et dites...j'en reviens toujours à cela, le mystère insondable qui fait qu'à cette heure, je n'arrive pas à comprendre pourquoi la cruauté continue de sévir à si grande échelle, pourquoi nous voyons la poutre dans l'oeil des autres sans voir la paille qui obstrue le nôtre, pourquoi l'amour est si difficile. Et pourtant, la laine des jours dévide un fil, il  doit bien y avoir une trame (je me le dis pour mieux m'en convaincre), quand bien même son motif me reste obscur (ma vue baisse), Pénélope tisse et retisse. Il faut accepter la perte et le dépouillement, c'est sans doute la leçon, et accueillir les occasions de réjouissance et de plaisir, quand elles viennent. Les enfants m'entourent de leurs grands bras et de leurs regards d'adolescents, avec la grâce de leur âge plein d'espoir et d'humour de vivre. J'aurais tant désiré connaître la chaleur suave d'un partage intime, au long cours, corps et âme, avec un autre tendrement aimé, qui fasse de l'altérité le ressort et le principe du quotidien, qui en exalte la douceur et la beauté. J'aurais tant souhaité constater les progrès de la paix et de la justice, et voir la violence régresser. Il n'en est rien. Le froid revient. Ici, l'hiver poursuit sa morsure un mois après l'avènement du printemps. Pauvre coeur brisé.

dimanche 25 février 2018

Yoga

28 ans de yoga...ma pratique a été plus ou moins régulière, parfois intense, à d'autres périodes plus pointilliste, mais toujours présente, centrale en fait. Je me rends compte en écrivant ces lignes que son début coïncide avec mon entrée dans la vie adulte - une pensée qui ne m'avait encore jamais traversé l'esprit! Ce fut, au départ, un chemin pour dissiper les maux de ventre qui me nouaient l'estomac sans raison médicale identifiable ; c'est au bout du compte, une manière d'apprendre à mieux vivre, en commençant par la base: apprendre à respirer conduit à s'exercer à accorder le corps et de l'esprit, le mouvement et le souffle.  Le yoga est pour moi une thérapeutique contre le mal de vivre, ma manière de rechercher l'union des contraires, de trouver une forme d'harmonie et d'équilibre dans mon intranquillité première.  J'y suis venue pour guérir, et le yoga reste fondamentalement pour moi une voie de guérison. Soin préventif et curatif, un préalable à tout le reste! Mais aussi et surtout approche globale et interconnectée de l'être, dans toutes ses dimensions - biologique, sensorielle,   émotionnelle, affective, intellectuelle, morale, spirituelle. Et pourtant, curieusement, sans m'en cacher, j'en parle assez peu, sans doute par peur de dire des banalités et de tenir un discours qui serait perçu comme tarte à la crème ou du prêt-à-penser sorti tout droit du rayon des techniques de bien-être et de développement personnel.  Le yoga n'est pas pour moi l'activité qu'on coince entre une séance de manucure et une virée de courses, et le studio de yoga n'est pas l'équivalent d'une salle de sport. C'est mon kit survie - le yoga m'a sauvée de bien des maladies, m'a aidée à faire naître mes enfants, à préserver ma santé et la leur, à remonter la pente de mes chagrins - et c'est aussi l'apprentissage d'un mode d'être ouvert et libre, sans jugement et aimant, une discipline qui libère et unifie - le psychique et le corporel, l'énergie et la matière. La puissance intégratrice du yoga est sans doute ce qui le rend pour moi si complet et en fait un instrument existentiel irremplaçable, puisqu'il s'applique à toute ma personne et exerce tous les niveaux et aspects de mon être.

"Garde intacte ta faiblesse. Ne cherche pas à acquérir des forces, de celles surtout qui ne sont pas pour toi, qui ne te sont pas destinées, dont la nature te préservait, te préparant à autre chose"

"Inouïes dans le règne animal, les mains, ces instruments d'affection et de douceur, qui mieux que n'importe quoi donnent des caresses. 
Aussi les animaux qui acceptent de la laisser faire (la main) ne redeviennent plus eux-mêmes, sauf toutefois les félins qui en temps voulu savent reprendre leur vie aventurière.
(...) Par là, par cette possibilité particulière de caresse, cet être agressif, impatient et calculateur qu'est l'homme a une sorte de prédestination à la douceur et à l'affection...Les enfants si on les laissait faire caresseraient des loups, des panthères. Cette singularité, mal mêlée à leurs autres inclinations, indiquerait pourquoi, malgré de bonnes et parfois très bonnes intentions, les hommes dans l'ensemble sont brouillons et - peuples aussi bien qu'individus - restent des instables à qui on ne peut longtemps se fier.
Dans la main, plus de tendresse que dans le coeur et dans le coeur plus que dans la conduite.
(...)
Mais alors? Si elle est réellement à la base, il faudrait bien y revenir, la traiter à part, sans gymnastique toutefois ni 'Mudras'. Elle n'a été que trop endoctrinée et tournée vers l'utile.
Trouve "ses' gestes, ceux dont elle a envie et qui sont des gestes pour te refaçonner. Danse de la main. Observes-en les effets immédiats et lointains. Capital, surtout si tu ne fus jamais un homme à gestes. C'est cela qui te manquait et non pas ce que vainement tu cherchais au dehors, en études et compilations. Indéfiniment, reviens à la main."

Henri Michaux - Poteaux d'angle

texte des yogas sutra de Patanjali:
file:///Users/annemohsen/Downloads/2013%20les%20sutra%20(1).pdf
https://www.yogaraphael.fr/textes-de-pata%C3%B1jali/