samedi 11 mai 2013

Et un sourire

La poésie ramène aux profondeurs de l'enfance,  retrouve ce qui était enfoui. Parfois aussi, c'est l'enfance qui me ramène aux poèmes, tel celui-ci de Paul Eluard, mon poète favori quand j'avais quinze ans, et retrouvé dans les cahiers de Yann:

Et un sourire

La nuit n'est jamais complète
Il y a toujours, puisque je le dis,
Puisque je l'affirme,
Au bout du chagrin une fenêtre ouverte,
Une fenêtre éclairée,
Il y a toujours un rêve qui veille,
Désir à combler, faim à satisfaire,
Un coeur généreux,
Une main tendue, une main ouverte,
Des yeux attentifs,
Une vie, la vie à se partager.


Ces vers me rappellent aussi une phrase dite par un psychologue qui m'avait beaucoup frappée et intriguée - "Une personne déprimée ne suscite pas l'amour".  Parole déculpabilisante, lorsqu'on se sent vidé devant l'abîme d'un autre, mais que je trouvais tronquée et plutôt lâche, jusqu'à saisir que sa vérité est en creux: c'est l'amour en oeuvre, visible et palpable dans la joie de vivre d'autres qui la donnent en partage qui peut offrir un rayon de lumière à celui qui est perdu dans son trouble. Admonition aussi à nourrir en soi cette part de rêve qui donne foi.


dimanche 28 avril 2013

Music

Sometimes I wish I'll drown in sounds, forget about everything else - merge with outpouring emotions, in the quicksand of feeling. Music rushes my brain, a liquefied fire. Pulsating sensations travel my being, reminiscing wild shores and caressing wind, babbling stories, beating closer and closer in the curls of my soul, chasing untold mysteries, an impossible love, mute memories, the tender warmth of a child. Old people hold hands, singing. New life will come, bulging between old cobbles. A stream broke to the other side; beneath the ancient house, a door is open - I see a path to the harbor.
La musique est aussi frémissement de langues qui tintinnabulent dans ma tête- bruissement de sons aux couleurs variées, différentes parties de moi-même, déploiement divers de la pensée, effort multiple d'appréhension du monde.



A noir, E blanc, I rouge, O bleu: voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes:
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d'ombres ; E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes;
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux;
O, suprême clairon plein de strideurs étranges,
Silence traversé des mondes et des anges:
O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux!

Arthur Rimbaud, Voyelles.

dimanche 21 avril 2013

Etranger dans notre vie, je ne parle qu'à toi avec d'étranges mots

La poésie m'aide à vivre. A revivre. Encore, et encore, elle me place sur le seuil - ouvre un regard sans jugement - question, caresse, souffle ou simplement béance. Je parle d'une poésie sans prétention ni grandiloquence. Une poésie comme celle de Philippe Jaccottet, qui murmure: "comme je suis un étranger dans notre vie, je ne parle qu'à toi avec d'étranges mots". Trouée vers l'autre et l'autrement, orée entre-deux-mondes, elle dépasse les catégories, déplace les lignes. La mort taraude les vers, l'amour aussi, la soif passionnée de vivre, mais sans se mentir, debout yeux ouverts, buvant, embrassant l'expérience bonne et mauvaise, plaisir et souffrance, avec ce souci: sonner juste, restituer une vérité sentie, briser la gangue de nos égos enflés. Le lyrisme est périlleux - mais il y a une secrète jubilation du langage, qui se rit de lui-même dans sa virtuosité, enfonce les portes de notre pauvre réel, et nous sublime - je pense à Cyrano (de Bergerac, pièce d'Edmond Rostand), vu hier dans une petite salle de la banlieue parisienne. La beauté naît de cet entrelacs de résonances,  contradictions qu'elle ne cherche pas à résoudre. Par elle, j'accepte, j'accueille et à tâtons chemine...sous la ramure urbaine, et dans les hautes branches d'une pinède oubliée entre les pages d'un livre, j'ai entendu un grand rire, et les gloussements perlés d'enfants en vadrouille. Un amour inconnu m'appelle.



Dis encore cela....

Dis encore cela patiemment, plus patiemment
ou avec fureur, mais dis encore,
en défi aux bourreaux, dis cela, essaie,
sous l'étrivière du temps.

Espère encore que le dernier cri
du fuyard avant de s'abattre soit tel,
n'étant pas entendu, étant faible, inutile,
qu'il échappe, au moins lui sinon sa nuque,
à l'espace où la balle de la mort ne dévie jamais,
et par une autre oreille que la terre grande ouverte
soit recueilli, plus haut, non pas plus haut,
ailleurs, pas même ailleurs: soit recueilli
peut-être plus bas, comme une eau
qui s'enfonce dans la poussière du jardin,
comme le sang qui se disperse, fourvoyé,
dans l'inconnu.

Dernière chance pour toute victime sans nom:
qu'il y ait, non pas au-delà des collines
ou des nuages, non pas au-dessus du ciel
ni derrière les beaux yeux clairs, ni caché
dans les seins nus, mais on ne sait comment
mêlé au monde que nous traversons,
qu'il y ait, imprégnant ses moindres parcelles,
de cela que la voix ne peut nommer, de cela
que rien ne mesure, afin qu'encore
il soit possible d'aimer la lumière
ou seulement de la comprendre,
ou simplement, encore, de la voir
elle, comme la terre la recueille,
et non pas rien que sa trace de cendre.

Philippe Jaccottet - A la lumière d'hiver

dimanche 14 avril 2013

Mirages beyrouthins


Cliché, mais vécu.  Je pleure Beyrouth, que je viens de quitter – ville paradoxale dont les contrastes innombrables donnent le vertige. Beyrouth est laide au premier abord – une champignonnière d’immeubles sans forme à flanc de montagne, un immense désordre, un cadre exceptionnel défiguré. Beyrouth est belle pourtant. On ne peut que se laisser envouter par l’identité insaisissable et multiple d’une construction impossible juxtaposant les contraires les plus opposés. Beyrouth mêle l’extrême richesse et l’abjecte pauvreté, le matérialisme triomphant et la grande piété, la douceur de vivre et la violence sociale. Les balafres encore visibles de la guerre civile s’offrent à voir ci et là. La guerre a éventré le centre ville, à jamais éviscéré de la vie ancienne qui pulsait dans des souks disparus et remplacés par des centres commerciaux policés mais sans âme. Où ailleurs peut-on voir côte-à-côte une église maronite,  une autre grecque catholique, une troisième orthodoxe, une mosquée Sunnite, une autre chiite? Beyrouth est pleine de scandales – la misère des camps palestiniens, la corruption, l’ineptie de l’état. Mais c’est prodigieux, l’incarnation d’une aporie et d’un vivre ensemble tout à la fois.  Ville phénix aussi, relevée de ses cendres. Je déambule dans les rues aux senteurs printanières, dans un air plus léger que l’air, voyant partout le signe qu’il est temps comme la nature de revivre. Et Beyrouth me transporte de sensations – douces et intenses- rassemble amis d’hier et d’aujourd’hui, échos du passé et portes vers l’avenir. Beyrouth bruisse du mystère de sa propre résurrection, rongée par un communautarisme qui voue le pays à un équilibre de funambule, au fil du rasoir, dans un vide de citoyenneté commune. Et pourtant dans le roulis de l’histoire, Beyrouth a des allures de rencontre avec le destin. Envers et contre tout, cette ville me porte à l’espoir.  

samedi 30 mars 2013

Femmes

Le débat sur la place des femmes dans le monde du travail et la vie publique a repris une vigueur nouvelle depuis l'été de ce côté-ci de l'Atlantique, à la faveur de deux femmes en particulier, Anne-Marie Slaughter et Sheryl Sandberg. La presse tente d'opposer leurs points de vue - la polémique est à mon sens artificielle, mais a le mérite d'attirer l'attention sur un vrai sujet, trop longtemps tabou pour les femmes de ma génération. Je leur suis profondément reconnaissante d'avoir eu l'intelligence et le courage de remettre la question des difficultés spécifiques que rencontrent les femmes dans la conciliation entre vie privée et vie professionnelle au coeur d'une réflexion politique, sociale et économique.  Tout en mettant l'accent sur des aspects différents du problème, elles disent en fait la même chose -  tout d'abord que la libération des femmes n'est pas encore achevée, et ce, en particulier en ce qui concerne l'accès des femmes à des positions dirigeantes, qu'il s'agisse du secteur privé ou de l'administration publique. J'ai vécu longtemps dans l'idée que les grands combats (droit de vote, contraception, etc.)  étant derrière nous,  notre société était devenue égalitaire. La réalité est bien différente - mon expérience vécue m'en a persuadée, mais je n'avais ni les mots ni le recul pour le formuler en termes politiques ou sociaux. Lire le grand article d'Anne Marie Slaughter dans "the Atlantic" au mois de juin dernier, intitulé "Why women still can't have it all",  a été un véritable déclic (http://www.theatlantic.com/magazine/archive/2012/07/why-women-still-cant-have-it-all/309020/). Je me retrouvais complètement dans ses dilemmes de mère et   de professionnelle avec des ambitions légitimes. Le livre de Sheryl Sandberg "Lean in: Women work and the will to lead" m'a fait le même effet. Je ne saurais que trop les recommander à toutes les femmes, jeunes et moins jeunes.

dimanche 17 mars 2013

Détox


Je viens de passer une semaine sans thé ni café, ou boisson similaire. Ce fut moins facile que ce que je ne le pensais au départ - il a fallu cinq jours pour me débarrasser d'un mal de tête léger mais persistant et d'une forme de brouillard cérébral. Que mon corps manifeste sa dépendance a renforcé ma détermination à la rompre. Outre les bénéfices évidents d'un tel sevrage une fois le manque surmonté,  c'est aussi une bonne occasion de changer d'habitudes, et d'ouvrir le champ à d'autres découvertes, certes petites, mais qui créent imperceptiblement un contexte pour d'autres innovations, plus intérieures, ou de comportement. Je l'avais lu dans des revues ou livres sur le yoga et approches alternatives d'amélioration de soi qui ont proliféré dans la dernière décennie, mais c'est autre chose de le ressentir aussi vivement dans une expérience que je pourrais qualifier de minimaliste.  Les cures de detox contemporaines rejoignent les anciennes pratiques de jeûne et purification. Eliminer le toxique, laisser le corps se dénouer, se détendre, le soustraire aux pressions d'une vie sans cesse plus rapide. Le corps a besoin de pauses, tout l'être en a besoin, c'est une banalité de le dire, mais la vie actuelle malmène durement ces rythmes plus naturels. Pour revenir à ma micro expérience, j'ai grâce à elle pris conscience de manière inattendue de la chose suivante: refuser d'avoir besoin de caféine prend une dimension symbolique, l'équivalent de résister corporellement à la course ambiante, arrêter de fuir (en avant ou en arrière peu importe la direction), et me libérer de "la morale de l'épuisement" qui me conditionne fortement, selon laquelle ne pas être constamment au bord, sur la crête, est le signe d'une rétention coupable d'énergie, qui aurait du être investie dans quelque chose d'utile à autrui. Bien que j'ai découvert de très agréables alternatives au thé - notamment des mélanges de "roiboos" ou thé rouge qui nous vient d'Afrique du Sud - je n'ai pas l'intention de ne plus jamais boire de thé ou de café, ce serait une privation dont je ne vois pas le sens, mais je compte bien en user bien plus modérément qu'avant, en privilégiant les thés verts.  
Je ne voudrais pas perdre les bénéfices d'une réduction drastique des quantités de caféine que j'ingurgite - je dors mieux évidemment et me sens paradoxalement plus alerte. Mais se débarrasser d'une vieille habitude m'a aussi subtilement libérée de pesanteurs intérieures et renforce mon audace. Voilà qui devrait m'aider à continuer ma recherche tâtonnante d'un mieux vivre.

samedi 9 mars 2013

Sur les bords du monde

"Alors là, je suis scié!". Ce sont les mots qui échappent à plusieurs reprises à Hoshino, l'un des protagonistes de Kafka sur le rivage, et qui conviennent aussi pour exprimer la surprise pleine d'admiration que j'ai ressentie en lisant ce roman d'Haruki Murakawami, proprement extraordinaire.  Le personnage principal est un jeune homme de quinze ans, dont la quête initiatique offre sa trame au récit.  Il s'agit bien d'une initiation, qui livre le lecteur autant que les personnages aux puissances de l'imagination, une sorte d'exploration poétique des forces de l'inconscient qui érode les frontières entre monde visible et invisible,  rêve et réalité, vie et mort, et met en scène l'intériorité des êtres dans des projections oniriques et fantasmagoriques. C'est un livre de sortilèges et d'énigmes. Un labyrinthe. C'est aussi une méditation sur le vide et l'impermanence - nos existences sont une danse d'enveloppes éphémères, animées par un souffle mystérieux et qui se rejoignent dans un au delà du sens et des sens. Les animaux - chats, poissons, corbeau -, la nature - arbres, foudre, pierre- sont les passeurs essentiels du dévoilement des vérités cachées. C'est au coeur d'une bibliothèque et d'une forêt où il trouve refuge que le jeune Tamura passe au-delà du miroir pour se trouver lui-même. Les personnages sont extrêmement émouvants,  et tous d'une grande profondeur, voyageurs pleins de grâce et surtout de solicitude et compassion mutuelles. C'est rare, un livre où les relations entre les êtres sont dominées par une entente et une union quasi mystiques. Kafka sur le rivage résonne à bien des niveaux.  C'est aussi une combinaison fascinante entre une inspiration profondément japonaise et des références occidentales qui sont centrales. La musique  en particulier -Beethoven, Schubert, Haydn, mais aussi Coltrane, Prince, Radiohead-, habite les personnages, et c'est en écoutant le concerto numéro un de Haydn qu'Hoshino se fait la réflexion suivante, sur laquelle je vous laisse, en vous encourageant à découvrir bientôt l'oeuvre d'Haruki Murakawami, si vous ne la connaissez pas déjà :
"C'était une époque sans souci. Je prenais chaque jour comme il venait, j'étais quelqu'un. Ca se faisait tout naturellement. Mais un beau jour tout s'est arrêté. Et la vie m'a réduit à n'être personne. Drôle d'histoire. L'homme nait pour vivre, non? Pourtant plus le temps passait, plus je perdais ce qui constituait mon noyau intérieur, jusqu'à avoir l'impression d'être devenu complètement vide....est-ce que je peux faire quelque chose pour changer la direction du courant?"