J'aime consigner ici mes coups de foudre littéraires. C'en est un. Immédiat et total. Charles Juliet écrit des profondeurs, il écrit comme je voudrais écrire, et sous des formes -journal, poèmes, courts romans- qui me sont familières et accessibles. Lambeaux est un livre bouleversant. La projection de l'auteur dans l'imaginaire de sa mère est une ombre portée de la vie intérieure de l'écrivain lui-même, une réinvention intime de celle qui lui a donné le jour et qu'il n'a jamais connue. "Tes yeux. Immenses. Ton regard doux et patient où brûle ce feu qui te consume. Où sans relâche la nuit meurtrit ta lumière" (...) "Te ressusciter. Te recréer. Te dire au fil des ans et des hivers avec cette lumière qui te portait, mais qui un jour, pour ton malheur et pour le mien, s'est déchirée", écrit-il en exergue du livre. Par la magie de l'écriture, c'est comme si c'était lui, cette fois, qui la faisait entrer dans l'existence, en lui façonnant un sens, en magnifiant le trou béant de souffrance qui l'a engloutie pour y désigner la source d'une expérience spirituelle infiniment riche. Le fantôme de cette femme transfiguré en force vivace, comme un ancrage définitif dans une sagesse mystérieuse, née de l'amour deux fois anéanti qu'elle portait en elle - celui de la vie de l'esprit et celui d'un homme qui, sitôt rencontré, lui fut arraché. La beauté de la nature, "cette immensité bleue", "lumière pâle, veloutée, et tous ces ocres, ces bruns, ces rouges, ces orange et ces mauves épandus sur les arbres", apparaît comme seul recours, mais ne suffit pas à surmonter ces "cloisons invisibles qui rendent impossible toute rencontre" ni à combattre l'épuisement dans la solitude. "A jamais fissurée. A jamais exclue de la vie. A jamais embourbée dans une souffrance qui a pourri jusqu'à la pulpe de ton âme". Saurait-on mieux décrire le maléfice de la dépression qui a emporté sa mère et qui détruit tant de monde? Charles Juliet remonte d'une plongée dans l'obscur, et extrait, avec l'obstination d'un mineur de fond, les pierres fines d'une rencontre au-delà de soi, dont l'éclat ne ternit jamais. Des mots comme un silence tamisé, qui parlent d'un retournement paradoxal. Sa voix rayonne d'une douceur rugueuse et puissante, capable de ressouder suffisamment l'être pour s'ouvrir à nouveau. J'admire ceux qui fréquentent ainsi l'abîme et savent reconquérir la force de pouvoir, malgré tout, se jeter dans l'arène....Gratitude est le titre du dernier tome de son journal publié le mois dernier, et j'attends avec impatience ma prochaine escapade parisienne pour aller y faire un tour.
http://www.telerama.fr/livres/gratitude,n5202602.php
https://www.franceinter.fr/emissions/remede-a-la-melancolie/remede-a-la-melancolie-15-octobre-2017
en complément, j'ajoute la recension faite dans le Monde du 22 décembre
http://www.lemonde.fr/livres/article/2017/12/25/charles-juliet-l-ame-en-paix_5234249_3260.html
et cette citation (empruntée à Thérèse d'Avila) que le journaliste insère "La connaissance de soi est avant tout une destruction douloureuse à vivre. Elle vous fait vaciller, met votre vie en jeu. C'est dans la mesure où l'on peut vivre cette expérience sans se protéger, qu'arrive un jour la nécesité de mourir à soi même. Une mutation se produit. Elle a quelque chose de radical et d'irréversible. Des énergies nouvelles surgissent"
et cet extrait, du journal de Charles Juliet
"22 juillet 2004
Si je m'ouvre au tumulte du monde, prends à nouveau conscience des graves problèmes qui secouent notre société, et si, à l'instant d'après je reviens à moi, à mon travail, je suis porté à me remettre en cause, à considérer que les notes que je recueille dans ce journal sont absolument dérisoires. C'est à chaque fois un moment difficile. Mais je réagis, m'efforce de ne pas retomber dans ce doute destructeur qui m'a si longtemps harcelé. Pour m'affermir, ne pas perdre courage, je me dis que je ne peux pas vivre hors de moi ni me couper de ce monde intérieur qui m'habite. Il détermine en grande partie ce que je suis, ce que je pense, et dans cette mesure, il me faut accepter les limites qu'il m'impose, donc cesser de tenir pour rien ce que j'écris"
http://www.telerama.fr/livres/gratitude,n5202602.php
https://www.franceinter.fr/emissions/remede-a-la-melancolie/remede-a-la-melancolie-15-octobre-2017
en complément, j'ajoute la recension faite dans le Monde du 22 décembre
http://www.lemonde.fr/livres/article/2017/12/25/charles-juliet-l-ame-en-paix_5234249_3260.html
et cette citation (empruntée à Thérèse d'Avila) que le journaliste insère "La connaissance de soi est avant tout une destruction douloureuse à vivre. Elle vous fait vaciller, met votre vie en jeu. C'est dans la mesure où l'on peut vivre cette expérience sans se protéger, qu'arrive un jour la nécesité de mourir à soi même. Une mutation se produit. Elle a quelque chose de radical et d'irréversible. Des énergies nouvelles surgissent"
et cet extrait, du journal de Charles Juliet
"22 juillet 2004
Si je m'ouvre au tumulte du monde, prends à nouveau conscience des graves problèmes qui secouent notre société, et si, à l'instant d'après je reviens à moi, à mon travail, je suis porté à me remettre en cause, à considérer que les notes que je recueille dans ce journal sont absolument dérisoires. C'est à chaque fois un moment difficile. Mais je réagis, m'efforce de ne pas retomber dans ce doute destructeur qui m'a si longtemps harcelé. Pour m'affermir, ne pas perdre courage, je me dis que je ne peux pas vivre hors de moi ni me couper de ce monde intérieur qui m'habite. Il détermine en grande partie ce que je suis, ce que je pense, et dans cette mesure, il me faut accepter les limites qu'il m'impose, donc cesser de tenir pour rien ce que j'écris"