Je ne vais plus très souvent au cinéma malheureusement. L'occasion s'est tout de même présentée cette semaine, pour un film dont je craignais qu'il disparaisse rapidement des écrans new yorkais et soit introuvable pendant longtemps sur internet ou les chaines cablées. Il s'agit de "The gatekeepers", un film documentaire israélien réalisé à partir d'entretiens avec six anciens directeurs du Shin Bet, les services de renseignements intérieurs d'Israel. Très bien monté, enchainant images d'archives et images des interviewés, the Gatekeepers condense en moins de deux heures de nombreux moments forts de l'histoire israélo-palestinienne, en particulier l'assassinat d'Itzhak Rabin en 1995, qui fait figure de cassure majeure. Le verdict délivré par ceux qui ont consacré leur vie à défendre la sécurité d'Israel et qu'on ne peut pas soupconner de mollesse ni de moralisme (il y a d'ailleurs un passage fort intéressant sur l'usage de la torture et l'ordre donné d'achever des suspects ) est unanime: la politique d'occupation est une impasse; Israel gagne des batailles mais perd(ra) la guerre... A voir, si vous pouvez. http://www.thegatekeepersfilm.com/
J'ai vu également un autre film, d'un genre bien différent, mais qui s'attaque aussi à des sujets lourds et fait réfléchir: Flight, où le rôle principal est tenu par un Denzel Washington époustouflant dans son incarnation d'un pilote hors pair mais abîmé dans l'alcool. Il réussit l'impossible, faire atterrir un avion dans des conditions catastrophiques en dépit ou peut-être parce qu'il est sous le double effet de l'alcool et de la cocaine, qui lui donnent un contrôle quasi surhumain de la situation. Whip, c'est son nom, est donc un héros, mais c'est aussi un criminel ayant bafoué la confiance publique comme il le reconnait in fine, puisqu'il a pris les manettes dans un état complet d'intoxication. Tout le film tient dans la tension complexe et la bataille qui se jouent en lui. L'alcool l'emprisonne et le fait sombrer ; son orgueil l'empêche d'admettre son état ; l'alcool l'aide à vivre dans l'illusion et le mensonge. Les autres tournent autour, le manipulent ou l'utilisent, hormis les femmes amies ou amantes. Celles-ci tentent de l'aider mais sont obligées de renoncer et passent leur chemin. C'est d'ailleurs la mort de l'une d'elles dans le crash qui, lors de l'interrogatoire conduit par la commission de la sécurité des transports, devient un cas de conscience qu'il doit affronter. Le déclic qui se fait en lui l'affranchit et le condamne simultanément. Il se retrouve sous les verrous physiques d'un pénitencier, délivré du mensonge et de l'alcoolisme, âme accablée mais libre. http://www.paramount.com/flight/
Blog de réflexions personnelles et de notes de lecture. L' intranquille est aussi un journal de bord intérieur, entre pérégrinations et rêves, et une manière de partager des nourritures intellectuelles, artistiques et affectives, une manière de voir le quotidien autrement et chemin faisant, laisser la trace des jours qui passent.
dimanche 10 février 2013
dimanche 3 février 2013
Est-Ouest
Edward Said, grand intellectuel palestinien américain, mais aussi mélomane et musicien, a disparu il y aura dix ans en septembre. L'université de Columbia à New York, où il enseigna longtemps, a commencé les diverses commémorations qui lui seront consacrées au long de cette année et c'est à ce titre que j'ai eu la chance vendredi soir d'assister à une conférence concert organisée autour de Daniel Barenboim - qui fut un grand ami d'Edward Said - et de l'orchestre du divan Est-ouest qu'ils ont créé ensemble en 1999, réunissant des musiciens israéliens et des musiciens arabes. Daniel Barenboim est non seulement un génie musical et un esprit pénétrant, mais a aussi des talents oratoires. Il nous a raconté avec un plaisir non dissimulé les origines de cette entreprise - qui a pris sa source en Allemagne, à Weimar, lors d'une conversation de Daniel Barenboim avec celui qui était l'organisateur de la programmation culturelle de l'année Weimar capitale de l'Europe (cette année c'est Marseille). Le directeur culturel en question souhaitait refléter dans sa programmation l'idée d'un dialogue et d'une tension entre le meilleur et le pire de l'histoire de Weimar - Goethe, qui y est né, et Buchenwald, camp de concentration situé non loin de la ville. L'art n'est-il pas d'ailleurs jailli d'une telle tension, d'un élan vital pour échapper au pire, nous en sauver et le conjurer? Toujours est-il qu'inspiré par Goethe et son divan oriental occidental, et avec le soutien de son ami Edward Said, Daniel Barenboim est parti à la recherche de talents musicaux dans les pays arabes - dont il n'avait pas la moindre idée - pour les associer aux musiciens israéliens qu'il connaissait déjà. C'est à travers le réseau des instituts Goethe que la sélection s'est faite. Lors de la première rencontre, le groupe arabe comportait plusieurs syriens - ce qui n'a pas laissé d'intriguer le maestro, étonné à juste titre que de jeunes syriens aient pu être autorisés à participer à un projet avec des israéliens dans le contexte d'hostilité officielle entre les deux pays, et la ligne intransigeante du maitre de Damas (Hafez al-Assad, à l'époque). La réponse tient à une rencontre que Barenboim avait fait des années auparavant, à Prague, avec un jeune musicien syrien sur lequel il avait fait forte impression. Devenu directeur du conservatoire en Syrie, ce musicien a tout de suite compris l'importance de l'initiative et encouragé ses élèves à s'y rendre - "humainement et musicalement, il faut y aller", leur a-t-il sans doute dit. Il a aussi fait le nécessaire sur le plan administratif pour faciliter leur sortie, en particulier en omettant que le projet musical en Allemagne impliquerait de collaborer avec des "ennemis". La musique, dans ce contexte, devient un dialogue intense non seulement entre les sons eux-mêmes, mais entre les êtres qui les produisent, et entre l'oeuvre interprétée et le monde autour, élargissant les frontières du réel au point parfois de le transformer, ne serait qu'en un instant incandescent d'harmonie. C'est une incarnation de cette harmonie, source profonde de joie, qui nous a été offerte vendredi soir - dans le dialogue des musiciens arabes et israéliens interpretant Boulez sous la direction de Barenboim, et à travers une interprétation émouvante de la truite de Schubert - dans sa transcription pour quintet avec piano. Barenboim au piano, était tout en dialogue avec son fils, au violon, mais aussi avec ses jeunes musiciens qui eux-mêmes étaient en connivence. Plusieurs cercles concentriques. Je n'en suis pas restée là- le lendemain, Nour et moi avons encore eu la grande chance d'entendre l'orchestre cette fois au complet, à Carnegie Hall, pour un concert mémorable: symphonies No.2 et No.9 de Beethoven. La neuvième en concert, c'est...bouleversant! Chaque mouvement est plus extraordinaire que le précédent - l'intériorité de la musique est en miroir de son intensité sonore. Le troisième mouvement, contemplatif, est d'une beauté mystique, et aboutit à l'apothéose du quatrième mouvement avec choeur, où la jubilation vient à la fois de la force physique de l'orchestre, majestueusement augmenté d'un choeur nombreux, et de l'harmonie des musiciens unis dans une vibration quasi divine....
Nord, Ouest et Sud volent en éclats,
Les trônes se brisent, les empires tremblent:
sauve-toi....
[...]
Wer sich selbst und andre kennt,
Wird auch hier erkennen :
Orient und Occident
Sind nicht mehr zu trennen.
Sinnig zwischen beiden Welten
Sich zu wiegen, lass’ ich gelten ;
Also zwischen Ost- und Westen
Sich bewegen, sei’s zum Besten !"
Celui qui se connait lui-même et les autres
reconnaîtra aussi ceci:
L'Orient et l'Occident
Ne peuvent plus être séparés
Entre ces deux mondes avec esprit
Se bercer, je le veux bien;
Entre l'Est et l'Ouest ainsi
Se mouvoir, puisse cela profiter!
Johan Wolfgang von Goethe - West-östlicher Diwan -
An die Freude - Hymne à la joie
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Johann Christoph Friedrich von Schiller
dimanche 27 janvier 2013
Sur la nappe d'un étang glacé
Les guerres font la hune, aujourd'hui comme hier. Dans le froid brisant de l'hiver, Yann m'a demandé l'autre jour en marchant vers l'arrêt du bus de lui raconter "les guerres"- à vrai dire celle qui l'occupait était la première guerre mondiale. Combien de morts en France? 1,4 million (plus de 20 millions au total pour l'ensemble des pays) - un chiffre astronomique quand on pense que la population totale était moins du tiers de la population actuelle. La seconde guerre mondiale a été pire encore (40 à 60 millions de morts en tout, un demi-million en France)...De ce point de vue, la guerre en Syrie, si sanglante soit-elle, reste bien en deca - 60,000 morts en deux ans- et l'on voit pourquoi sur l'échéance du temps long l'une et l'autre partie semble prête à se battre longtemps et à subir des pertes considérables. C'est à mesure de l'enjeu. Par association, et à la recherche de ce que les périodes de guerre avaient pu inspirer aux artistes, avec en résonance la très belle exposition sur Picasso en "Blanc et Noir", une rétrospective de son oeuvre au Guggenheim qui montre très clairement la césure que représentent les deux conflits mondiaux dans l'évolution de son art tant au niveau du style que des sujets choisis, j'ai ouvert des recueils de poèmes écrits pendant ou juste après la seconde guerre mondiale - René Char avec "fureur et mystère" et Louis Aragon de "La Diane francaise", dont vous trouverez deux brefs extraits ci-dessous.
Sur la nappe d'un étang glacé
Je t'aime
Hiver aux graines belliqueuses.
Maintenant ton image luit
Là où son coeur s'est penché.
René Char, Fureur et mystère
Je ne connais pas cet homme
Trouver des mots à l'échelle du vent
Trouver des mots qui pratiquent des brèches
Dans le sommeil comme un soleil levant
Des mots qui soient à nos soifs une eau fraîche
Trouer des mots forts comme la folie
Trouver des mots couleur de tous les jours
Trouver des mots que personne n'oublie
Feux pour l'aveugle et tonnerres au sourd
Pour ne pas lire aux lèvres qui parlaient
A quelle nuit nos yeux se condamnèrent
Quand les martyrs criaient à chaque plaie
Le violon terrible de leurs nerfs
Pendant ce temps qu'avez-vous inventé
Vous fredonniez vos anciennes caroles
Des mots sans suite et doux d'être chantés
Sur les tombeaux dansent les flammeroles
Dans quel silence infiniment tomba
ce lourd remords de garder le silence
Et votre coeur fut le volet qui bat
Dans l'insomnie un mur de faux-semblance
Coeur ou caillou puisqu'un jour nous dirons
de l'Homme je ne connais pas cet homme
Nous porterons la rougeur à nos fronts
D'avoir trahi ce que nous mêmes nous sommes
C'était avant que le sang ne séchât
Portant sa croix et souffrant son calvaire
Que j'ai nommé Jésus sous les crachats
Avec des mots comme des yeux ouverts
Avec des mots échelle du vent
Avec des mots où notre amour se fonde
Avec des mots comme un soleil levant
Avec des mots simples comme le monde
Louis Aragon, La Diane francaise
Sur la nappe d'un étang glacé
Je t'aime
Hiver aux graines belliqueuses.
Maintenant ton image luit
Là où son coeur s'est penché.
René Char, Fureur et mystère
Je ne connais pas cet homme
Trouver des mots à l'échelle du vent
Trouver des mots qui pratiquent des brèches
Dans le sommeil comme un soleil levant
Des mots qui soient à nos soifs une eau fraîche
Trouer des mots forts comme la folie
Trouver des mots couleur de tous les jours
Trouver des mots que personne n'oublie
Feux pour l'aveugle et tonnerres au sourd
Pour ne pas lire aux lèvres qui parlaient
A quelle nuit nos yeux se condamnèrent
Quand les martyrs criaient à chaque plaie
Le violon terrible de leurs nerfs
Pendant ce temps qu'avez-vous inventé
Vous fredonniez vos anciennes caroles
Des mots sans suite et doux d'être chantés
Sur les tombeaux dansent les flammeroles
Dans quel silence infiniment tomba
ce lourd remords de garder le silence
Et votre coeur fut le volet qui bat
Dans l'insomnie un mur de faux-semblance
Coeur ou caillou puisqu'un jour nous dirons
de l'Homme je ne connais pas cet homme
Nous porterons la rougeur à nos fronts
D'avoir trahi ce que nous mêmes nous sommes
C'était avant que le sang ne séchât
Portant sa croix et souffrant son calvaire
Que j'ai nommé Jésus sous les crachats
Avec des mots comme des yeux ouverts
Avec des mots échelle du vent
Avec des mots où notre amour se fonde
Avec des mots comme un soleil levant
Avec des mots simples comme le monde
Louis Aragon, La Diane francaise
dimanche 20 janvier 2013
Vrai ou faux
"La littérature seule peut exprimer l'impossibilité qui est la vérité". Cette phrase énigmatique, tirée de "revivre", de Frédéric Worms, a soudain sauté de la page - coupé le fil de ma lecture, jeté une interrogation. Est-ce la une part de l'explication du secret de l'attraction profonde de la littérature sur moi? Certainement - le rapport de la littérature et de la vérité est un sujet rebattu, mais inépuisable, et une source d'étonnement sans cesse renouvelé. N'est-ce pas précisément parce qu'elle ne prétend pas dire le vrai que la fiction littéraire permet de pointer la vérité, et du même coup son caractère impossible, insaisissable, qui est une vérité au coeur de la vérité? Je ne peux accéder à elle que par le truchement du jeu de reflets et de miroirs qu'offre la littérature - prose, poésie ou théâtre, cela s'applique pleinement aux trois, même si les mécanismes de chacun diffèrent. René Girard a magistralement exposé ce qu'il en est pour le roman dans "Mensonge romantique et vérité romanesque", mais je pense que cela va encore plus loin. L'oeuvre est un chemin d'accès à des réalités de tous ordres - relationnel, psychologique, social, politique; elle décrypte le monde social et interpersonnel, dans un processus d'interpellation et de projection du lecteur ou du spectateur, qui conduit aussi, forcément, au soi, à nos réalités intimes et prend, plus ou moins fortement selon les oeuvres, le caractère d'une navigation intérieure. La littérature est pour moi, fondamentalement indissociable d'une approche phénoménologique. Ce n'est pas une explication - qui est l'entreprise de la science ou la philosophie, mais un révélateur, qui dans son mode et ses processus mêmes, y compris ce qui se passe dans la relation de lecture ou d'écoute, infiniment divers et libres, réunit tous les attributs du vrai.
dimanche 13 janvier 2013
Coups de foudre
La lecture pour moi est un grand plaisir et un besoin. Pour autant, ce n'est pas tous les jours que j'ai des coups de coeur littéraires. Il m'est arrivé cependant à plusieurs reprises de tomber sous le charme fou d'un(e) auteur(e) contemporain(e) - une découverte un peu par hasard, suivie d'une sorte d'envoûtement. Voici trois de ces exemples, dont la "sérendipité" explique en partie le plaisir qu'ils m'inspirent:
- Orhan Pamuk - cela a commencé avec Mon nom est rouge, puis Neige, Istanbul, D'autres couleurs, et Le musée de l'innocence qui m'a tellement touchée que je n'ai jamais réussi à le terminer. Cette rumination obsédante d'un chagrin d'amour qui surdétermine l'existence de l'artiste, et envahit sa mémoire, est aussi une déambulation dans la ville d'Istanbul avec laquelle j'ai tissé ce faisant un lien affectif imaginaire. La nostalgie est le sentiment dominant de cette oeuvre, qui est aussi un sacre du mystère amoureux.
- Laurent Gaudé - le premier que j'ai lu est un recueil de nouvelles offert par Juliette, Dans la nuit Mozambique. J'ai tout de suite aimé. A cause de la force qui en émane, dans le style, les personnages. Ce n'est pas joli, ni élégant - mais dense et profond. La vigueur de l'écriture, son lyrisme rauque pointent toujours qu'il est question de vie et de mort, que la littérature n'est pas fioriture, mais un exercice beaucoup plus vital. Et depuis j'ai continué à lire: Ouragan (inspiré par l'ouragan Katrina qui s'est abattu sur la Nouvelle Orléans en août 2005), La mort du roi Tsongor (mon préféré), Le soleil des Scorta (qui lui a valu le prix Goncourt). J'attends de pouvoir lire le dernier sorti, Pour un seul cortège, inspiré du Grand Alexandre de Macédoine.
- Ahdaf Soueif - elle n'a pas beaucoup écrit, et cela fait plusieurs années que je cherchais désespérément si elle avait publié à nouveau. Je viens de découvrir qu'elle a sorti un livre sur la révolution égyptienne, Cairo, my city our revolution, qui me reste à lire - le lien entre politique et littérature au coeur d'une existence individuelle donnée est naturellement quelque chose qui me tient à coeur. The map of love est une des lectures les plus agréables que j'ai faites, à la fois en raison de sa construction en répond entre présent et passé et des thèmes du livre mêlant histoire, politique et sentiments, et parce que les prénoms de deux personnages importants du livre -Anna et sa fille Nur - faisaient comme un étrange écho à ma propre vie lorsque j'ai lu ce livre, au moment même où ma Nour à moi venait juste au monde et que je venais d'arriver d'Egypte en terre américaine. Il faut aussi rendre justice à un roman précédent, In the Eye of the sun, fascinant parcours d'une jeune femme entre Egypte et Angleterre, et méditation tant sur l'identité nationale et historique que sur la féminité. C'est un pavé volumineux, mais qui se lit vite, et peut-être d'autant plus lorsqu'on est une femme. Ahdaf Soueif - comme Nancy Huston dans un genre très différent, avant d'être un auteur, est une femme qui me parle en tant que femme - il y a quelque chose de fortement intime et une connivence qui constituent une part importante de l'attraction de ses livres sur moi. Je me demande ce qu'il en est pour les hommes.
- Orhan Pamuk - cela a commencé avec Mon nom est rouge, puis Neige, Istanbul, D'autres couleurs, et Le musée de l'innocence qui m'a tellement touchée que je n'ai jamais réussi à le terminer. Cette rumination obsédante d'un chagrin d'amour qui surdétermine l'existence de l'artiste, et envahit sa mémoire, est aussi une déambulation dans la ville d'Istanbul avec laquelle j'ai tissé ce faisant un lien affectif imaginaire. La nostalgie est le sentiment dominant de cette oeuvre, qui est aussi un sacre du mystère amoureux.
- Laurent Gaudé - le premier que j'ai lu est un recueil de nouvelles offert par Juliette, Dans la nuit Mozambique. J'ai tout de suite aimé. A cause de la force qui en émane, dans le style, les personnages. Ce n'est pas joli, ni élégant - mais dense et profond. La vigueur de l'écriture, son lyrisme rauque pointent toujours qu'il est question de vie et de mort, que la littérature n'est pas fioriture, mais un exercice beaucoup plus vital. Et depuis j'ai continué à lire: Ouragan (inspiré par l'ouragan Katrina qui s'est abattu sur la Nouvelle Orléans en août 2005), La mort du roi Tsongor (mon préféré), Le soleil des Scorta (qui lui a valu le prix Goncourt). J'attends de pouvoir lire le dernier sorti, Pour un seul cortège, inspiré du Grand Alexandre de Macédoine.
- Ahdaf Soueif - elle n'a pas beaucoup écrit, et cela fait plusieurs années que je cherchais désespérément si elle avait publié à nouveau. Je viens de découvrir qu'elle a sorti un livre sur la révolution égyptienne, Cairo, my city our revolution, qui me reste à lire - le lien entre politique et littérature au coeur d'une existence individuelle donnée est naturellement quelque chose qui me tient à coeur. The map of love est une des lectures les plus agréables que j'ai faites, à la fois en raison de sa construction en répond entre présent et passé et des thèmes du livre mêlant histoire, politique et sentiments, et parce que les prénoms de deux personnages importants du livre -Anna et sa fille Nur - faisaient comme un étrange écho à ma propre vie lorsque j'ai lu ce livre, au moment même où ma Nour à moi venait juste au monde et que je venais d'arriver d'Egypte en terre américaine. Il faut aussi rendre justice à un roman précédent, In the Eye of the sun, fascinant parcours d'une jeune femme entre Egypte et Angleterre, et méditation tant sur l'identité nationale et historique que sur la féminité. C'est un pavé volumineux, mais qui se lit vite, et peut-être d'autant plus lorsqu'on est une femme. Ahdaf Soueif - comme Nancy Huston dans un genre très différent, avant d'être un auteur, est une femme qui me parle en tant que femme - il y a quelque chose de fortement intime et une connivence qui constituent une part importante de l'attraction de ses livres sur moi. Je me demande ce qu'il en est pour les hommes.
dimanche 6 janvier 2013
Pourquoi j'aime Oprah Winfrey (et l'Amérique)
Au fil des ans, j'ai fini par succomber au charme d'Oprah, qui, je dois l'avouer, représente pour moi la quintessence du rêve américain, et deux qualités qui m'apparaissent de plus en plus comme clé: la résilience et la joie de vivre. Vous vous rappelez peut-être de la couleur pourpre, un film de Steven Spielberg sorti en 1985 et une adaptation du roman du même titre d'Alice Walker, dans lequel Oprah jouait au côté de Whoopi Goldberg. Au delà de sa réussite exceptionnelle qui tient du conte de fée - pauvre enfant maltraitée du Mississipi devenue la première et peut être la seule milliardaire africaine américaine, ce qui me fascine le plus c'est la culture populaire dont elle est à la fois le symbole et la source. Elle a une capacité extraordinaire à transcender les catégories sociales et à s'adresser aux femmes, toutes origines confondues, pour offrir ce qu'il y a de meilleur en Amérique: une énergie positive inépuisable, la foi en la possibilité pour chacun de se réinventer chaque jour. C'est l'anti-snob, qui met à la portée de tous la littérature - pour sûr les livres qu'elle recommande ne sont pas les plus ardus, mais ils tiennent la route, et portent sur des sujets de fond. Bref, j'admire en elle sa simplicité, qui est une forme de courage.
J'ai aussi encore beaucoup à apprendre sur l'histoire des Etats-Unis, et sur la question raciale qui, en dépit de l'élection d'Obama, reste une réalité sociologique troublante dans ce pays fascinant. L'école l'aborde de diverses facons - c'est notamment au programme d'anglais de 5ème ici. En parcourant la liste de lecture de Nour, j'ai trouvé deux classiques "A raisin in the sun" de Loraine Hansberry (une pièce de théâtre également adaptée au cinéma) et le très beau "To kill a mockingbird" de Harper Lee (aussi tourné en film). Ont alors ressurgi de vieux souvenirs de lecture d'enfance, "Black boy" de Richard Wright et "Uncle Tom's cabin" de Hariet Beecher Stowe, qui m'avaient fortement émue par la brusque découverte de l'esclavage et de l'avilissement- les lecons d'histoire sur l'horreur des camps de concentration nazis sont venus ensuite- ou lectures d'adolescence comme celle de la très populaire saga "Roots" d'Alex Haley (Racines en francais), dévorée un été chez Bonpa et Bonnemame à Arthel. Et je me dis qu'il ne serait pas inutile d'aller voir de plus près ce que sont les "Twelve tribes of Hattie" de Ayana Mathis, dont Oprah justement chante les louanges, ou "The warmth of other suns" d'Isabel Wilkerson, dont la presse avait parlé l'an dernier. Plus sérieusement, je pourrais me replonger dans "beloved" de Toni Morrison, et lire son livre le plus récent, "Home", que le New York Times donne envie de découvrir (http://www.nytimes.com/2012/05/20/books/review/home-a-novel-by-toni-morrison.html?pagewanted=all). Enfin, pour me ressourcer alors que je considère l'abysse du Proche-Orient et notre impuissance collective à apporter des solutions, il suffit tout simplement, sans fausse naiveté, de relire Martin Luther King Jr, auquel les Etats-Unis dédient chaque année le 3ème lundi de janvier et que Joëlle a tellement raison d'aimer...
J'ai aussi encore beaucoup à apprendre sur l'histoire des Etats-Unis, et sur la question raciale qui, en dépit de l'élection d'Obama, reste une réalité sociologique troublante dans ce pays fascinant. L'école l'aborde de diverses facons - c'est notamment au programme d'anglais de 5ème ici. En parcourant la liste de lecture de Nour, j'ai trouvé deux classiques "A raisin in the sun" de Loraine Hansberry (une pièce de théâtre également adaptée au cinéma) et le très beau "To kill a mockingbird" de Harper Lee (aussi tourné en film). Ont alors ressurgi de vieux souvenirs de lecture d'enfance, "Black boy" de Richard Wright et "Uncle Tom's cabin" de Hariet Beecher Stowe, qui m'avaient fortement émue par la brusque découverte de l'esclavage et de l'avilissement- les lecons d'histoire sur l'horreur des camps de concentration nazis sont venus ensuite- ou lectures d'adolescence comme celle de la très populaire saga "Roots" d'Alex Haley (Racines en francais), dévorée un été chez Bonpa et Bonnemame à Arthel. Et je me dis qu'il ne serait pas inutile d'aller voir de plus près ce que sont les "Twelve tribes of Hattie" de Ayana Mathis, dont Oprah justement chante les louanges, ou "The warmth of other suns" d'Isabel Wilkerson, dont la presse avait parlé l'an dernier. Plus sérieusement, je pourrais me replonger dans "beloved" de Toni Morrison, et lire son livre le plus récent, "Home", que le New York Times donne envie de découvrir (http://www.nytimes.com/2012/05/20/books/review/home-a-novel-by-toni-morrison.html?pagewanted=all). Enfin, pour me ressourcer alors que je considère l'abysse du Proche-Orient et notre impuissance collective à apporter des solutions, il suffit tout simplement, sans fausse naiveté, de relire Martin Luther King Jr, auquel les Etats-Unis dédient chaque année le 3ème lundi de janvier et que Joëlle a tellement raison d'aimer...
"I accept this award today with an abiding faith in America and an audacious faith in the future of mankind. I refuse to accept despair as the final response to the ambiguities of history. I refuse to accept the idea that the "isness" of man's present nature makes him morally incapable of reaching up for the eternal "oughtness" that forever confronts him. I refuse to accept the idea that man is mere flotsom and jetsom in the river of life, unable to influence the unfolding events which surround him. I refuse to accept the view that mankind is so tragically bound to the starless midnight of racism and war that the bright daybreak of peace and brotherhood can never become a reality.
I refuse to accept the cynical notion that nation after nation must spiral down a militaristic stairway into the hell of thermonuclear destruction. I believe that unarmed truth and unconditional love will have the final word in reality. This is why right temporarily defeated is stronger than evil triumphant. I believe that even amid today's mortar bursts and whining bullets, there is still hope for a brighter tomorrow. I believe that wounded justice, lying prostrate on the blood-flowing streets of our nations, can be lifted from this dust of shame to reign supreme among the children of men. I have the audacity to believe that peoples everywhere can have three meals a day for their bodies, education and culture for their minds, and dignity, equality and freedom for their spirits." Martin Luther King Jr, Nobel Prize acceptance speech.
http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/peace/laureates/1964/king-acceptance_en.html
http://mlkday.gov/index.php
mardi 1 janvier 2013
1er janvier 2013
Première nuit de 2013, premier matin, et au réveil, bousculant mes plans et mes aspirations, ni sérénité ni plénitude, c’est l’inquiétude que je trouve pour m’accueillir dans cette nouvelle année. Passé un premier mouvement de déception et de rejet, je me ravise. L’inquiétude pourrait- elle être bonne? Plutôt que de m’ arc- bouter contre l’émotion qui m’ habite, je pourrais la prendre pour guide temporaire. Il y a après tout de quoi être inquiète. 2013 verra- t- elle la fin de la guerre en Syrie? La réalisation d’ un état palestinien indépendant et souverain? Le triomphe de la démocratie contre les tentations du despotisme quel qu’il soit? Une vraie législation anti- armes à feu aux États- Unis? Sans parler des luttes plus secrètes, qui se livrent en moi, et qui me laissent sur le qui-vive, dans l’aspiration d’un dépassement. Meilleurs voeux d’inquiétude, ou plutôt, d’intranquillité...sur laquelle Fernando Pessoa et d’autres ont écrit de bien belles pages, dont vous trouverez quelques extraits ci-dessous.
“J'ai duré des heures ignorées, des moments successifs sans lien entre eux, au cours de la promenade que j'ai faite une nuit, au bord de la mer, sur un rivage solitaire. Toutes les pensées qui ont fait vivre des hommes, toutes les émotions que les hommes ont cessé de vivre, sont passées par mon esprit, tel un résumé obscur de l'histoire, au cours de cette méditation cheminant au bord de la mer. J'ai souffert en moi-même, avec moi-même, les aspirations de toutes les époques révolues, et ce sont les angoisses de tous les temps qui ont, avec moi, longé le bord sonore de l'océan. Ce que les hommes ont voulu sans le réaliser, ce qu'ils ont tué en le réalisant, ce que les âmes ont été et que nul n'a jamais dit - c'est de tout cela que s'est formée la conscience sensible avec laquelle j'ai marché, cette nuit- là, au bord de la mer. Et ce qui a surpris chacun des amants chez l'autre amant, ce que la femme a toujours caché à ce mari auquel elle appartient, ce que la mère pense de l'enfant qu'elle n'a jamais eu, ce qui n'a eu de forme que dans un sourire ou une occasion, à peine esquissée, un moment qui ne fut pas ce moment- ci, une émotion qui a manqué en cet instant- là - tout cela, durant ma promenade au bord de la mer, a marché à mes côtés et s'en est revenu avec moi, et les vagues torsadaient d'un mouvement grandiose l'accompagnement grâce auquel je dormais tout cela.
Nous sommes qui nous ne sommes pas....”
Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillite.
“Oui un chant monte dans la nuit
Je n’en sais le pourquoi
N’en connais les paroles.
C’est un chant délivre
De tout ce que le chant possède.
Ce n’est que le chant de quelqu’un.
Il monte dans la nuit indépendant
de ce qu’il dit plus ou moins bien.
Il monte absurde et naturel
Je ne me souviens plus que je pense. J’écoute:
C’est un chant qui plan et qui plane
Comme vent sur la mer”
Fernando Pessoa, Cancioneiro
Retour.
L' Asie, maintenant loin, revient, me submer-
geant par moments, par longs moments.
Les pays où a compté souverainement «La
Paix Profonde» ne m'ont pas quitté. Envahisse-
ment profond. Envahissement-retard. Résur-
gence.
Pays rappelant période.
Dans mon enfance, sans comprendre, sans
communiquer, distant, je considérais les gensautour de moi, leur agitation dénuée de sens,
leur intranquillité.
En moi paix, détachement étaient combat-
tus. Enfant en Occident.
Henri Michaux, Emergences-Resurgences
Et dans un tout autre registre, Soren Kierkegaard:
Great Companion, You have loved us first
May we never forget that You are love,
So that this sure conviction might triumph in our hearts
Over the whirling of the world,
Over the inquietude of the soul
Over the anxiety for the future,
Over the fright of the past,
Over the distress of the moment.
May this conviction discipline our soul
So that our hearts might remain faithful and sincere
In the love which we bear to all those we love as ourselves.
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