mercredi 10 juillet 2013

L'amour, avant

Before midnight, before sunset or before sunrise - autant d'avant(s) pour que l'amour se déploie. Destin ou hasard amoureux? La trilogie de Richard Linklater, de fait co-écrite avec les deux acteurs principaux, Ethan Hawke et Julie Delpy, tente une réponse, intensément poétique, souvent drôle, et merveilleusement romantique. Il n'y a aucune mièvrerie dans cette entreprise artistique rare - trois films tournés chacun à au moins 9 ans l'un de l'autre, mettant en scène le même couple,  improbable au départ, et au bord d'être défait ou au contraire ressoudé à l'autre bout de la séquence. Les dialogues sont au centre de ces trois films qui auraient pu être des pièces de théâtre. L'unité de lieu nous emmène de Vienne dans le film de 1994 lorsque Jesse et Céline ont 23 ans, à Paris pour celui qui se déroule en 2004, et la Grèce en 2013. Il s'agit de conversations profondes, intellectuelles en partie, et surtout pleines d'humour et d'esprit. Les personnages se cherchent, se trouvent, et risquent toujours de se perdre. Le réalisateur est charitable avec son public, il reste toujours dans la suspension, et les fins sont ouvertes. La plus grande partie du temps se concentre sur le couple discutant - en voiture ou en ballade, permettant aux acteurs de faire preuve de leur grand art, et au cinéaste des scènes sans coupure de plus de huit minutes. Le sujet du film est cette conversation, fascinante, qui ne fait que renforcer la magie de la rencontre, jamais acquise. C'est après avoir vu before midnight que j'ai regardé les deux autres. Les films s'éclairent les uns les autres, mais commencer par le dernier est aussi judicieux que de voir le premier d'abord. Before midnight donne à voir et encore plus à entendre l'extraordinaire force d'une relation et sa fragilité ultime, c'est une restitution particulièrement sincère des jeux de rôles et interprétations auxquels nous nous livrons sans cesse et nous piégeons mutuellement.  Mais c'est aussi un ode au désir et au sentiment qui durent malgré leurs intermittences.  Il y a dans le film une scène magistrale, lors d'un repas sur la terrasse d'une propriété paradisiaque dans le Péloponnèse. Huit personnes, représentant trois générations et parmi lesquelles se trouvent 3 couples, disent ce qu'est pour eux l'amour. Vient alors ce moment fabuleux, ou la plus âgée, qui est veuve, se met a parler de son époux défunt, de la "seconde perte", lorsque la mémoire de l'autre se met à flancher, et qui dans le partage très simple de son expérience, dit la profondeur de l'attachement. Before midnight n'idéalise pas l'amour, loin s'en faut, mais pointe sa mystérieuse beauté, son éphémère éternité qui ne cesse de nous captiver, d'orienter et de bousculer nos vies...bref, de très bons moments à passer dans une salle noire ou devant un écran, quelle que soit sa taille.

samedi 11 mai 2013

Et un sourire

La poésie ramène aux profondeurs de l'enfance,  retrouve ce qui était enfoui. Parfois aussi, c'est l'enfance qui me ramène aux poèmes, tel celui-ci de Paul Eluard, mon poète favori quand j'avais quinze ans, et retrouvé dans les cahiers de Yann:

Et un sourire

La nuit n'est jamais complète
Il y a toujours, puisque je le dis,
Puisque je l'affirme,
Au bout du chagrin une fenêtre ouverte,
Une fenêtre éclairée,
Il y a toujours un rêve qui veille,
Désir à combler, faim à satisfaire,
Un coeur généreux,
Une main tendue, une main ouverte,
Des yeux attentifs,
Une vie, la vie à se partager.


Ces vers me rappellent aussi une phrase dite par un psychologue qui m'avait beaucoup frappée et intriguée - "Une personne déprimée ne suscite pas l'amour".  Parole déculpabilisante, lorsqu'on se sent vidé devant l'abîme d'un autre, mais que je trouvais tronquée et plutôt lâche, jusqu'à saisir que sa vérité est en creux: c'est l'amour en oeuvre, visible et palpable dans la joie de vivre d'autres qui la donnent en partage qui peut offrir un rayon de lumière à celui qui est perdu dans son trouble. Admonition aussi à nourrir en soi cette part de rêve qui donne foi.


dimanche 28 avril 2013

Music

Sometimes I wish I'll drown in sounds, forget about everything else - merge with outpouring emotions, in the quicksand of feeling. Music rushes my brain, a liquefied fire. Pulsating sensations travel my being, reminiscing wild shores and caressing wind, babbling stories, beating closer and closer in the curls of my soul, chasing untold mysteries, an impossible love, mute memories, the tender warmth of a child. Old people hold hands, singing. New life will come, bulging between old cobbles. A stream broke to the other side; beneath the ancient house, a door is open - I see a path to the harbor.
La musique est aussi frémissement de langues qui tintinnabulent dans ma tête- bruissement de sons aux couleurs variées, différentes parties de moi-même, déploiement divers de la pensée, effort multiple d'appréhension du monde.



A noir, E blanc, I rouge, O bleu: voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes:
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d'ombres ; E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes;
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux;
O, suprême clairon plein de strideurs étranges,
Silence traversé des mondes et des anges:
O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux!

Arthur Rimbaud, Voyelles.

dimanche 21 avril 2013

Etranger dans notre vie, je ne parle qu'à toi avec d'étranges mots

La poésie m'aide à vivre. A revivre. Encore, et encore, elle me place sur le seuil - ouvre un regard sans jugement - question, caresse, souffle ou simplement béance. Je parle d'une poésie sans prétention ni grandiloquence. Une poésie comme celle de Philippe Jaccottet, qui murmure: "comme je suis un étranger dans notre vie, je ne parle qu'à toi avec d'étranges mots". Trouée vers l'autre et l'autrement, orée entre-deux-mondes, elle dépasse les catégories, déplace les lignes. La mort taraude les vers, l'amour aussi, la soif passionnée de vivre, mais sans se mentir, debout yeux ouverts, buvant, embrassant l'expérience bonne et mauvaise, plaisir et souffrance, avec ce souci: sonner juste, restituer une vérité sentie, briser la gangue de nos égos enflés. Le lyrisme est périlleux - mais il y a une secrète jubilation du langage, qui se rit de lui-même dans sa virtuosité, enfonce les portes de notre pauvre réel, et nous sublime - je pense à Cyrano (de Bergerac, pièce d'Edmond Rostand), vu hier dans une petite salle de la banlieue parisienne. La beauté naît de cet entrelacs de résonances,  contradictions qu'elle ne cherche pas à résoudre. Par elle, j'accepte, j'accueille et à tâtons chemine...sous la ramure urbaine, et dans les hautes branches d'une pinède oubliée entre les pages d'un livre, j'ai entendu un grand rire, et les gloussements perlés d'enfants en vadrouille. Un amour inconnu m'appelle.



Dis encore cela....

Dis encore cela patiemment, plus patiemment
ou avec fureur, mais dis encore,
en défi aux bourreaux, dis cela, essaie,
sous l'étrivière du temps.

Espère encore que le dernier cri
du fuyard avant de s'abattre soit tel,
n'étant pas entendu, étant faible, inutile,
qu'il échappe, au moins lui sinon sa nuque,
à l'espace où la balle de la mort ne dévie jamais,
et par une autre oreille que la terre grande ouverte
soit recueilli, plus haut, non pas plus haut,
ailleurs, pas même ailleurs: soit recueilli
peut-être plus bas, comme une eau
qui s'enfonce dans la poussière du jardin,
comme le sang qui se disperse, fourvoyé,
dans l'inconnu.

Dernière chance pour toute victime sans nom:
qu'il y ait, non pas au-delà des collines
ou des nuages, non pas au-dessus du ciel
ni derrière les beaux yeux clairs, ni caché
dans les seins nus, mais on ne sait comment
mêlé au monde que nous traversons,
qu'il y ait, imprégnant ses moindres parcelles,
de cela que la voix ne peut nommer, de cela
que rien ne mesure, afin qu'encore
il soit possible d'aimer la lumière
ou seulement de la comprendre,
ou simplement, encore, de la voir
elle, comme la terre la recueille,
et non pas rien que sa trace de cendre.

Philippe Jaccottet - A la lumière d'hiver

dimanche 14 avril 2013

Mirages beyrouthins


Cliché, mais vécu.  Je pleure Beyrouth, que je viens de quitter – ville paradoxale dont les contrastes innombrables donnent le vertige. Beyrouth est laide au premier abord – une champignonnière d’immeubles sans forme à flanc de montagne, un immense désordre, un cadre exceptionnel défiguré. Beyrouth est belle pourtant. On ne peut que se laisser envouter par l’identité insaisissable et multiple d’une construction impossible juxtaposant les contraires les plus opposés. Beyrouth mêle l’extrême richesse et l’abjecte pauvreté, le matérialisme triomphant et la grande piété, la douceur de vivre et la violence sociale. Les balafres encore visibles de la guerre civile s’offrent à voir ci et là. La guerre a éventré le centre ville, à jamais éviscéré de la vie ancienne qui pulsait dans des souks disparus et remplacés par des centres commerciaux policés mais sans âme. Où ailleurs peut-on voir côte-à-côte une église maronite,  une autre grecque catholique, une troisième orthodoxe, une mosquée Sunnite, une autre chiite? Beyrouth est pleine de scandales – la misère des camps palestiniens, la corruption, l’ineptie de l’état. Mais c’est prodigieux, l’incarnation d’une aporie et d’un vivre ensemble tout à la fois.  Ville phénix aussi, relevée de ses cendres. Je déambule dans les rues aux senteurs printanières, dans un air plus léger que l’air, voyant partout le signe qu’il est temps comme la nature de revivre. Et Beyrouth me transporte de sensations – douces et intenses- rassemble amis d’hier et d’aujourd’hui, échos du passé et portes vers l’avenir. Beyrouth bruisse du mystère de sa propre résurrection, rongée par un communautarisme qui voue le pays à un équilibre de funambule, au fil du rasoir, dans un vide de citoyenneté commune. Et pourtant dans le roulis de l’histoire, Beyrouth a des allures de rencontre avec le destin. Envers et contre tout, cette ville me porte à l’espoir.  

samedi 30 mars 2013

Femmes

Le débat sur la place des femmes dans le monde du travail et la vie publique a repris une vigueur nouvelle depuis l'été de ce côté-ci de l'Atlantique, à la faveur de deux femmes en particulier, Anne-Marie Slaughter et Sheryl Sandberg. La presse tente d'opposer leurs points de vue - la polémique est à mon sens artificielle, mais a le mérite d'attirer l'attention sur un vrai sujet, trop longtemps tabou pour les femmes de ma génération. Je leur suis profondément reconnaissante d'avoir eu l'intelligence et le courage de remettre la question des difficultés spécifiques que rencontrent les femmes dans la conciliation entre vie privée et vie professionnelle au coeur d'une réflexion politique, sociale et économique.  Tout en mettant l'accent sur des aspects différents du problème, elles disent en fait la même chose -  tout d'abord que la libération des femmes n'est pas encore achevée, et ce, en particulier en ce qui concerne l'accès des femmes à des positions dirigeantes, qu'il s'agisse du secteur privé ou de l'administration publique. J'ai vécu longtemps dans l'idée que les grands combats (droit de vote, contraception, etc.)  étant derrière nous,  notre société était devenue égalitaire. La réalité est bien différente - mon expérience vécue m'en a persuadée, mais je n'avais ni les mots ni le recul pour le formuler en termes politiques ou sociaux. Lire le grand article d'Anne Marie Slaughter dans "the Atlantic" au mois de juin dernier, intitulé "Why women still can't have it all",  a été un véritable déclic (http://www.theatlantic.com/magazine/archive/2012/07/why-women-still-cant-have-it-all/309020/). Je me retrouvais complètement dans ses dilemmes de mère et   de professionnelle avec des ambitions légitimes. Le livre de Sheryl Sandberg "Lean in: Women work and the will to lead" m'a fait le même effet. Je ne saurais que trop les recommander à toutes les femmes, jeunes et moins jeunes.

dimanche 17 mars 2013

Détox


Je viens de passer une semaine sans thé ni café, ou boisson similaire. Ce fut moins facile que ce que je ne le pensais au départ - il a fallu cinq jours pour me débarrasser d'un mal de tête léger mais persistant et d'une forme de brouillard cérébral. Que mon corps manifeste sa dépendance a renforcé ma détermination à la rompre. Outre les bénéfices évidents d'un tel sevrage une fois le manque surmonté,  c'est aussi une bonne occasion de changer d'habitudes, et d'ouvrir le champ à d'autres découvertes, certes petites, mais qui créent imperceptiblement un contexte pour d'autres innovations, plus intérieures, ou de comportement. Je l'avais lu dans des revues ou livres sur le yoga et approches alternatives d'amélioration de soi qui ont proliféré dans la dernière décennie, mais c'est autre chose de le ressentir aussi vivement dans une expérience que je pourrais qualifier de minimaliste.  Les cures de detox contemporaines rejoignent les anciennes pratiques de jeûne et purification. Eliminer le toxique, laisser le corps se dénouer, se détendre, le soustraire aux pressions d'une vie sans cesse plus rapide. Le corps a besoin de pauses, tout l'être en a besoin, c'est une banalité de le dire, mais la vie actuelle malmène durement ces rythmes plus naturels. Pour revenir à ma micro expérience, j'ai grâce à elle pris conscience de manière inattendue de la chose suivante: refuser d'avoir besoin de caféine prend une dimension symbolique, l'équivalent de résister corporellement à la course ambiante, arrêter de fuir (en avant ou en arrière peu importe la direction), et me libérer de "la morale de l'épuisement" qui me conditionne fortement, selon laquelle ne pas être constamment au bord, sur la crête, est le signe d'une rétention coupable d'énergie, qui aurait du être investie dans quelque chose d'utile à autrui. Bien que j'ai découvert de très agréables alternatives au thé - notamment des mélanges de "roiboos" ou thé rouge qui nous vient d'Afrique du Sud - je n'ai pas l'intention de ne plus jamais boire de thé ou de café, ce serait une privation dont je ne vois pas le sens, mais je compte bien en user bien plus modérément qu'avant, en privilégiant les thés verts.  
Je ne voudrais pas perdre les bénéfices d'une réduction drastique des quantités de caféine que j'ingurgite - je dors mieux évidemment et me sens paradoxalement plus alerte. Mais se débarrasser d'une vieille habitude m'a aussi subtilement libérée de pesanteurs intérieures et renforce mon audace. Voilà qui devrait m'aider à continuer ma recherche tâtonnante d'un mieux vivre.

samedi 9 mars 2013

Sur les bords du monde

"Alors là, je suis scié!". Ce sont les mots qui échappent à plusieurs reprises à Hoshino, l'un des protagonistes de Kafka sur le rivage, et qui conviennent aussi pour exprimer la surprise pleine d'admiration que j'ai ressentie en lisant ce roman d'Haruki Murakawami, proprement extraordinaire.  Le personnage principal est un jeune homme de quinze ans, dont la quête initiatique offre sa trame au récit.  Il s'agit bien d'une initiation, qui livre le lecteur autant que les personnages aux puissances de l'imagination, une sorte d'exploration poétique des forces de l'inconscient qui érode les frontières entre monde visible et invisible,  rêve et réalité, vie et mort, et met en scène l'intériorité des êtres dans des projections oniriques et fantasmagoriques. C'est un livre de sortilèges et d'énigmes. Un labyrinthe. C'est aussi une méditation sur le vide et l'impermanence - nos existences sont une danse d'enveloppes éphémères, animées par un souffle mystérieux et qui se rejoignent dans un au delà du sens et des sens. Les animaux - chats, poissons, corbeau -, la nature - arbres, foudre, pierre- sont les passeurs essentiels du dévoilement des vérités cachées. C'est au coeur d'une bibliothèque et d'une forêt où il trouve refuge que le jeune Tamura passe au-delà du miroir pour se trouver lui-même. Les personnages sont extrêmement émouvants,  et tous d'une grande profondeur, voyageurs pleins de grâce et surtout de solicitude et compassion mutuelles. C'est rare, un livre où les relations entre les êtres sont dominées par une entente et une union quasi mystiques. Kafka sur le rivage résonne à bien des niveaux.  C'est aussi une combinaison fascinante entre une inspiration profondément japonaise et des références occidentales qui sont centrales. La musique  en particulier -Beethoven, Schubert, Haydn, mais aussi Coltrane, Prince, Radiohead-, habite les personnages, et c'est en écoutant le concerto numéro un de Haydn qu'Hoshino se fait la réflexion suivante, sur laquelle je vous laisse, en vous encourageant à découvrir bientôt l'oeuvre d'Haruki Murakawami, si vous ne la connaissez pas déjà :
"C'était une époque sans souci. Je prenais chaque jour comme il venait, j'étais quelqu'un. Ca se faisait tout naturellement. Mais un beau jour tout s'est arrêté. Et la vie m'a réduit à n'être personne. Drôle d'histoire. L'homme nait pour vivre, non? Pourtant plus le temps passait, plus je perdais ce qui constituait mon noyau intérieur, jusqu'à avoir l'impression d'être devenu complètement vide....est-ce que je peux faire quelque chose pour changer la direction du courant?"

dimanche 3 mars 2013

Bossa Nova


Jazz et Samba mêlés, la "bossa nova" est une des musiques les plus agréables que je connaisse -  et bien accordée à mes paysages intérieurs en soif de douceur joyeuse. Musique évocatrice du rythme scandé des vagues, de la lumière rasante d'un soir d'été, de la  profonde liberté de l'amour. Son nom signifie new trend, ou nouvelle tendance,  et quoi de plus attirant?  Il y a bien des chansons mythiques - Corcovado, Desafinado, the girl from Ipanema, et des musiciens non moins légendaires - Antonios Carlos Jobim, Joao Gilberto, Stan Getz... ci-dessous, de jolis vers, dont je n'ai pas trouvé de traduction suffisamment bonne en francais, de l'un des inspirateurs du mouvement, Vinicius de Moraes, dit "le petit poète".


Soneto de felidade

De tudo ao meu amor serei atento
Antes, e com tal zelo, e sempre, e tanto
Que mesmo em face do maior encanto
Dele se encante mais meu pensamento.

Quero vivê-lo em cada vão momento
E em seu louvor hei de espalhar meu canto
E rir meu riso e derramar meu pranto
Ao seu pesar ou seu contentamento

E assim, quando mais tarde me procure
Quem sabe a morte, angústia de quem vive
Quem sabe a solidão, fim de quem ama

Eu possa me dizer do amor (que tive):
Que não seja imortal, posto que é chama
Mas que seja infinito enquanto dure.” 


Sonnet of fidelity

Above all to my love I'll be attentive
First and always with care and so much
That even when facing the greatest enchantment
By love be more enchanted my thoughts.

I want to live it through in each vain moment
And in its honor I'll spread my song
And laugh my laughter and cry my tears
When you are sad or when you are content.

And thus when later comes looking for me
Who knows the death anxiety of the living 
Who knows the loneliness end of all lovers

I'll be able to say to myself of the love I had :
Be not immortal since it is flame
But be infinite while it lasts.” 

dimanche 10 février 2013

Deux films

Je ne vais plus très souvent au cinéma malheureusement. L'occasion s'est tout de même présentée cette semaine, pour un film dont je craignais qu'il disparaisse rapidement des écrans new yorkais et soit introuvable pendant longtemps sur internet ou les chaines cablées. Il s'agit de "The gatekeepers", un film documentaire israélien réalisé à partir d'entretiens avec six anciens directeurs du Shin Bet, les services de renseignements intérieurs d'Israel.  Très bien monté, enchainant images d'archives et images des interviewés, the Gatekeepers condense en moins de deux heures de nombreux moments forts de l'histoire israélo-palestinienne, en particulier l'assassinat d'Itzhak Rabin en 1995, qui fait figure de cassure majeure. Le verdict délivré par ceux qui ont consacré leur vie à défendre la sécurité d'Israel et qu'on ne peut pas soupconner de mollesse ni de moralisme (il y a d'ailleurs un passage fort intéressant sur l'usage de la torture et l'ordre donné d'achever des suspects ) est unanime: la politique d'occupation est une impasse; Israel gagne des batailles mais perd(ra) la guerre... A voir, si vous pouvez. http://www.thegatekeepersfilm.com/

J'ai vu également un autre film, d'un genre bien différent, mais qui s'attaque aussi à des sujets lourds et fait réfléchir: Flight, où le rôle principal est tenu par un Denzel Washington époustouflant dans son incarnation d'un pilote hors pair mais abîmé dans l'alcool. Il réussit l'impossible, faire atterrir un avion dans des conditions catastrophiques en dépit ou peut-être parce qu'il est sous le double effet de l'alcool et de la cocaine, qui lui donnent un contrôle quasi surhumain de la situation. Whip, c'est son nom,  est donc un héros, mais c'est aussi un criminel ayant bafoué la confiance publique comme il le reconnait in fine, puisqu'il a pris les manettes dans un état complet d'intoxication. Tout le film tient dans la tension complexe et  la bataille qui se jouent en lui. L'alcool l'emprisonne et le fait sombrer ; son orgueil l'empêche d'admettre son état ; l'alcool l'aide à vivre dans l'illusion et le mensonge. Les autres tournent autour, le manipulent ou l'utilisent, hormis les femmes amies ou amantes. Celles-ci tentent de l'aider mais sont obligées de renoncer et passent leur chemin. C'est d'ailleurs la mort de l'une d'elles dans le crash qui, lors de l'interrogatoire conduit par la commission de la sécurité des transports,  devient un cas de conscience qu'il doit affronter. Le déclic qui se fait en lui l'affranchit et le condamne simultanément. Il se retrouve sous les verrous physiques d'un pénitencier, délivré du mensonge et de l'alcoolisme, âme accablée mais libre. http://www.paramount.com/flight/

dimanche 3 février 2013

Est-Ouest


Edward Said, grand intellectuel palestinien américain, mais aussi mélomane et musicien, a disparu il y aura dix ans en septembre. L'université de Columbia à New York, où il enseigna longtemps, a commencé les diverses commémorations qui lui seront consacrées au long de cette année et c'est à ce titre que j'ai eu la chance vendredi soir d'assister à une conférence concert organisée autour de Daniel Barenboim - qui fut un grand ami d'Edward Said - et de l'orchestre du divan Est-ouest qu'ils ont créé ensemble en 1999, réunissant des musiciens israéliens et des musiciens arabes. Daniel Barenboim est  non seulement un génie musical et un esprit pénétrant, mais a aussi des talents oratoires. Il nous a raconté avec un plaisir non dissimulé les origines de cette entreprise - qui a pris sa source en Allemagne, à Weimar, lors d'une conversation de Daniel Barenboim avec celui qui était l'organisateur de la programmation culturelle de l'année Weimar capitale de l'Europe (cette année c'est Marseille). Le directeur culturel en question souhaitait refléter dans sa programmation l'idée d'un dialogue et d'une tension entre le meilleur et le pire de l'histoire de Weimar - Goethe, qui y est né, et Buchenwald, camp de concentration situé non loin de la ville. L'art n'est-il pas d'ailleurs jailli d'une telle tension, d'un élan vital pour échapper au pire, nous en sauver et le conjurer? Toujours est-il qu'inspiré par Goethe et son divan oriental occidental, et avec le soutien de son ami Edward Said, Daniel Barenboim est parti à la recherche de talents musicaux dans les pays arabes - dont il n'avait pas la moindre idée - pour les associer aux musiciens israéliens qu'il connaissait déjà. C'est à travers le réseau des instituts Goethe que la sélection s'est faite. Lors de la première rencontre, le groupe arabe comportait plusieurs syriens - ce qui n'a pas laissé d'intriguer le maestro, étonné à juste titre que de jeunes syriens aient pu être autorisés à participer à un projet avec des israéliens dans le contexte d'hostilité officielle entre les deux pays, et la ligne intransigeante du maitre de Damas (Hafez al-Assad, à l'époque). La réponse tient à une rencontre que Barenboim avait fait des années auparavant, à Prague, avec un jeune musicien syrien sur lequel il avait fait forte impression. Devenu directeur du conservatoire en Syrie, ce musicien a tout de suite compris l'importance de l'initiative et encouragé ses élèves à s'y rendre - "humainement et musicalement, il faut y aller", leur a-t-il sans doute dit. Il a aussi fait le nécessaire sur le plan administratif pour faciliter leur sortie, en particulier en omettant que le projet musical en Allemagne impliquerait de collaborer avec des "ennemis".  La musique, dans ce contexte, devient un dialogue intense non seulement entre les sons eux-mêmes, mais entre les êtres qui les produisent, et entre l'oeuvre interprétée et le monde autour, élargissant les frontières du réel au point parfois de le transformer, ne serait qu'en un instant incandescent d'harmonie. C'est une incarnation de cette harmonie, source profonde de joie, qui nous a été offerte vendredi soir - dans le dialogue des musiciens arabes et israéliens interpretant Boulez sous la direction de Barenboim, et à travers une interprétation émouvante de la truite de Schubert - dans sa transcription pour quintet avec piano. Barenboim au piano, était tout en dialogue avec son fils, au violon, mais aussi avec ses jeunes musiciens qui eux-mêmes étaient en connivence. Plusieurs cercles concentriques.  Je n'en suis pas restée là- le lendemain, Nour et moi avons encore eu la grande chance d'entendre l'orchestre cette fois au complet, à Carnegie Hall, pour un concert mémorable: symphonies No.2 et No.9 de Beethoven. La neuvième en concert, c'est...bouleversant! Chaque mouvement est plus extraordinaire que le précédent - l'intériorité de la musique est en miroir de son intensité sonore. Le troisième mouvement, contemplatif, est d'une beauté mystique, et aboutit à l'apothéose du quatrième mouvement avec choeur, où la jubilation vient à la fois de la force physique de l'orchestre, majestueusement augmenté d'un choeur nombreux, et de l'harmonie des musiciens unis dans une vibration quasi divine....




Nord, Ouest et Sud volent en éclats,
Les trônes se brisent, les empires tremblent:
sauve-toi....

[...]

Wer sich selbst und andre kennt, 
Wird auch hier erkennen : 
Orient und Occident 
Sind nicht mehr zu trennen. 
Sinnig zwischen beiden Welten 
Sich zu wiegen, lass’ ich gelten ; 
Also zwischen Ost- und Westen 
Sich bewegen, sei’s zum Besten !"

Celui qui se connait lui-même et les autres
reconnaîtra aussi ceci:
L'Orient et l'Occident
Ne peuvent plus être séparés

Entre ces deux mondes avec esprit
Se bercer, je le veux bien;
Entre l'Est et l'Ouest ainsi
Se mouvoir, puisse cela profiter!

Johan Wolfgang von Goethe - West-östlicher Diwan - 


An die Freude - Hymne à la joie


O Freunde, nicht diese Töne!
Sondern laßt uns angenehmere
anstimmen und freudenvollere.
Freude! 

Mes amis, cessons nos plaintes !
Qu'un cri joyeux élève aux cieux nos chants
de fêtes et nos accords pieux !
Joie !
Freude, schöner Götterfunken
Tochter aus Elysium,
Wir betreten feuertrunken,
Himmlische, dein Heiligtum!
Deine Zauber binden wieder
Was die Mode streng geteilt;
Alle Menschen werden Brüder,
Wo dein sanfter Flügel weilt.
Joie ! Belle étincelle divine
Fille de l'Élysée,
Nous entrons l'âme enivrée
Dans ton temple glorieux.
Tes charmes lient à nouveau
Ce que la mode en vain détruit ;
Tous les hommes deviennent frères
Là où tes douces ailes reposent.
Wem der große Wurf gelungen,
Eines Freundes Freund zu sein;
Wer ein holdes Weib errungen,
Mische seinen Jubel ein!
Ja, wer auch nur eine Seele
Sein nennt auf dem Erdenrund!
Und wer's nie gekonnt, der stehle
Weinend sich aus diesem Bund!
Que celui qui a le bonheur
D'être l'ami d'un ami ;
Que celui qui a conquis une douce femme,
Partage son allégresse !
Oui, et aussi celui qui n'a qu'une âme
À nommer sienne sur la terre !
Et que celui qui n'a jamais connu cela s'éloigne
En pleurant de notre cercle !
Freude trinken alle Wesen
An den Brüsten der Natur;
Alle Guten, alle Bösen
Folgen ihrer Rosenspur.
Küsse gab sie uns und Reben,
Einen Freund, geprüft im Tod;
Wollust ward dem Wurm gegeben,
und der Cherub steht vor Gott.
Tous les êtres boivent la joie
Aux seins de la nature,
Tous les bons, tous les méchants,
Suivent ses traces de rose.
Elle nous donne les baisers et la vigne,
L'ami, fidèle dans la mort,
La volupté est donnée au ver,
Et le chérubin est devant Dieu.
Froh, wie seine Sonnen fliegen
Durch des Himmels prächt'gen Plan,
Laufet, Brüder, eure Bahn,
Freudig, wie ein Held zum Siegen.
Heureux, alors que Ses soleils volent
Sur le glorieux système céleste,
Courez, frères, sur votre voie,
Joyeux, comme un héros vers la victoire.
Seid umschlungen, Millionen!
Diesen Kuß der ganzen Welt!
Brüder, über'm Sternenzelt
Muß ein lieber Vater wohnen.
Ihr stürzt nieder, Millionen?
Ahnest du den Schöpfer, Welt?
Such' ihn über'm Sternenzelt!
Über Sternen muß er wohnen.
Qu'ils s'enlacent, tous les êtres !
Ce baiser au monde entier !
Frères, au plus haut des cieux
Doit habiter un père aimé.
Tous les êtres se prosternent ?
Pressens-tu le créateur, Monde ?
Cherche-le au-dessus des cieux d'étoiles !
Au-dessus des étoiles il doit habiter.
Freude, schöner Götterfunken
Tochter aus Elysium,
Seid umschlungen, Millionen!
Diesen Kuß der ganzen Welt!
Joie ! Belle étincelle des dieux
Fille de l'Élysée,
Soyez unis êtres par millions !
Qu'un seul baiser enlace l'univers !

       Johann Christoph Friedrich von Schiller

dimanche 27 janvier 2013

Sur la nappe d'un étang glacé

Les guerres font la hune, aujourd'hui comme hier. Dans le froid brisant de l'hiver, Yann m'a demandé l'autre jour en marchant vers l'arrêt du bus de lui raconter "les guerres"- à vrai dire celle qui l'occupait était la première guerre mondiale. Combien de morts en France? 1,4 million (plus de 20 millions au total pour l'ensemble des pays) - un chiffre astronomique quand on pense que la population totale était moins du tiers de la population actuelle. La seconde guerre mondiale a été pire encore (40 à 60 millions de morts en tout, un demi-million en France)...De ce point de vue, la guerre en Syrie, si sanglante soit-elle, reste bien en deca - 60,000 morts en deux ans- et l'on voit pourquoi sur l'échéance du temps long l'une et l'autre partie semble prête à se battre longtemps et à subir des pertes considérables. C'est à mesure de l'enjeu.   Par association, et à la recherche de ce que les périodes de guerre avaient pu inspirer aux artistes, avec en résonance la très belle exposition sur Picasso en "Blanc et Noir", une rétrospective de son oeuvre au Guggenheim qui montre très clairement la césure que représentent les deux conflits mondiaux dans l'évolution de son art tant au niveau du style que des sujets choisis, j'ai  ouvert des recueils de poèmes écrits pendant ou juste après la seconde guerre mondiale - René Char avec "fureur et mystère" et Louis Aragon de "La Diane francaise", dont vous trouverez deux brefs extraits ci-dessous.

Sur la nappe d'un étang glacé

Je t'aime
Hiver aux graines belliqueuses.
Maintenant ton image luit
Là où son coeur s'est penché.

René Char, Fureur et mystère



Je ne connais pas cet homme

Trouver des mots à l'échelle du vent
Trouver des mots qui pratiquent des brèches
Dans le sommeil comme un soleil levant
Des mots qui soient à nos soifs une eau fraîche

Trouer des mots forts comme la folie
Trouver des mots couleur de tous les jours
Trouver des mots que personne n'oublie
Feux pour l'aveugle et tonnerres au sourd

Pour ne pas lire aux lèvres qui parlaient
A quelle nuit nos yeux se condamnèrent
Quand les martyrs criaient à chaque plaie
Le violon terrible de leurs nerfs

Pendant ce temps qu'avez-vous inventé
Vous fredonniez vos anciennes caroles
Des mots sans suite et doux d'être chantés
Sur les tombeaux dansent les flammeroles

Dans quel silence infiniment tomba
ce lourd remords de garder le silence
Et votre coeur fut le volet qui bat
Dans l'insomnie un mur de faux-semblance

Coeur ou caillou puisqu'un jour nous dirons
de l'Homme je ne connais pas cet homme
Nous porterons la rougeur à nos fronts
D'avoir trahi ce que nous mêmes nous sommes

C'était avant que le sang ne séchât
Portant sa croix et souffrant son calvaire
Que j'ai nommé Jésus sous les crachats
Avec des mots comme des yeux ouverts

Avec des mots échelle du vent
Avec des mots où notre amour se fonde
Avec des mots comme un soleil levant
Avec des mots simples comme le monde

Louis Aragon, La Diane francaise

dimanche 20 janvier 2013

Vrai ou faux

"La littérature seule peut exprimer l'impossibilité qui est la vérité".  Cette phrase énigmatique, tirée de "revivre", de Frédéric Worms, a soudain sauté de la page - coupé le fil de ma lecture, jeté une interrogation. Est-ce la une part de l'explication du secret de l'attraction profonde de la littérature sur moi? Certainement - le rapport de la littérature et de la vérité est un sujet rebattu, mais inépuisable,  et une source d'étonnement sans cesse renouvelé. N'est-ce pas précisément parce qu'elle ne prétend pas dire le vrai que la fiction littéraire permet de pointer la vérité, et du même coup son caractère impossible,    insaisissable, qui est une vérité au coeur de la vérité? Je ne peux accéder à elle que par le truchement du jeu de reflets et de miroirs qu'offre la littérature - prose, poésie ou théâtre, cela s'applique pleinement  aux trois, même si les mécanismes de chacun diffèrent. René Girard a magistralement exposé ce qu'il en est pour le roman dans "Mensonge romantique et vérité romanesque", mais je pense que cela va encore plus loin. L'oeuvre est un chemin d'accès à des réalités de tous ordres - relationnel, psychologique, social, politique; elle décrypte le monde social et interpersonnel, dans un processus d'interpellation et de projection du lecteur ou du spectateur, qui conduit aussi, forcément, au soi, à nos réalités intimes et prend, plus ou moins fortement selon les oeuvres, le caractère d'une navigation intérieure. La littérature est pour moi, fondamentalement indissociable d'une approche phénoménologique. Ce n'est pas une explication - qui est l'entreprise de la science ou la philosophie, mais un révélateur, qui dans son mode et ses processus mêmes, y compris ce qui se passe dans la relation de lecture ou d'écoute, infiniment divers et libres, réunit tous les attributs du vrai.

dimanche 13 janvier 2013

Coups de foudre

La lecture pour moi est un grand plaisir et un besoin. Pour autant, ce n'est pas tous les jours que j'ai des coups de coeur littéraires.  Il m'est arrivé cependant à plusieurs reprises de tomber sous le charme  fou d'un(e) auteur(e) contemporain(e)  - une découverte un peu par hasard, suivie d'une sorte d'envoûtement. Voici trois de ces exemples, dont la "sérendipité" explique en partie le plaisir qu'ils m'inspirent:

- Orhan Pamuk -  cela a commencé avec Mon nom est rouge, puis Neige, Istanbul, D'autres couleurs, et Le musée de l'innocence qui m'a tellement touchée que je n'ai jamais réussi à le terminer. Cette rumination obsédante d'un chagrin d'amour qui surdétermine l'existence de l'artiste, et envahit sa mémoire, est aussi une déambulation dans la ville d'Istanbul avec laquelle j'ai tissé ce faisant un lien affectif imaginaire. La nostalgie est le sentiment dominant de cette oeuvre, qui est aussi un sacre du mystère amoureux.

- Laurent Gaudé - le premier que j'ai lu est un recueil de nouvelles offert par Juliette, Dans la nuit Mozambique. J'ai tout de suite aimé. A cause de la force qui en émane, dans le style, les personnages. Ce n'est pas joli, ni élégant - mais dense et profond. La vigueur de l'écriture, son lyrisme rauque pointent toujours qu'il est question de vie et de mort, que la littérature n'est pas fioriture, mais un exercice beaucoup plus vital. Et depuis j'ai continué à lire: Ouragan (inspiré par l'ouragan Katrina qui s'est abattu sur la Nouvelle Orléans en  août 2005), La mort du roi Tsongor (mon préféré), Le soleil des Scorta (qui lui a valu le prix Goncourt). J'attends de pouvoir lire le dernier sorti, Pour un seul cortège, inspiré du Grand Alexandre de Macédoine.

- Ahdaf Soueif - elle n'a pas beaucoup écrit, et cela fait plusieurs années que je cherchais désespérément si elle avait publié à nouveau. Je viens de découvrir qu'elle a sorti un livre sur la révolution égyptienne, Cairo, my city our revolution, qui me reste à lire - le lien entre politique et littérature au coeur d'une existence individuelle donnée est naturellement quelque chose qui me tient à coeur. The map of love est une des lectures les plus agréables que j'ai faites, à la fois en raison de sa construction en répond entre présent et passé  et des thèmes du livre mêlant histoire, politique et sentiments, et parce que les prénoms de deux personnages importants du livre -Anna et sa fille Nur - faisaient comme un étrange écho à ma propre vie lorsque j'ai lu ce livre, au moment même où ma Nour à moi venait juste au monde et que je venais d'arriver d'Egypte en terre américaine. Il faut aussi rendre justice à un roman précédent, In the Eye of the sun, fascinant parcours d'une jeune femme entre Egypte et Angleterre, et méditation tant sur l'identité nationale et historique que sur la féminité. C'est un pavé volumineux, mais qui se lit vite, et peut-être d'autant plus lorsqu'on est une femme.  Ahdaf Soueif - comme Nancy Huston dans un genre très différent, avant d'être un auteur, est une femme qui me parle en tant que femme - il y a quelque chose de fortement intime et une connivence qui constituent une part importante de l'attraction de ses livres sur moi. Je me demande ce qu'il en est pour les hommes.


dimanche 6 janvier 2013

Pourquoi j'aime Oprah Winfrey (et l'Amérique)

Au fil des ans, j'ai fini par succomber au charme d'Oprah, qui, je dois l'avouer, représente pour moi la quintessence du rêve américain, et deux qualités qui m'apparaissent de plus en plus comme clé: la résilience et la joie de vivre. Vous vous rappelez peut-être de la couleur pourpre, un film de Steven Spielberg sorti en 1985 et une adaptation du roman du même titre d'Alice Walker, dans lequel Oprah jouait au côté de Whoopi Goldberg. Au delà de sa réussite exceptionnelle qui tient du conte de fée  - pauvre enfant maltraitée du Mississipi devenue la première et peut être la seule milliardaire africaine américaine, ce qui me fascine le plus c'est la culture populaire dont elle est à la fois le symbole et la source. Elle a une capacité extraordinaire à transcender les catégories sociales et  à s'adresser aux femmes, toutes origines confondues, pour offrir ce qu'il y a de meilleur en Amérique: une énergie positive inépuisable, la foi en la possibilité pour chacun de se réinventer chaque jour. C'est l'anti-snob, qui met à la portée de tous la littérature - pour sûr les livres qu'elle recommande ne sont pas les plus ardus, mais ils tiennent la route, et portent sur des sujets de fond. Bref, j'admire en elle sa simplicité, qui est une forme de courage.

J'ai aussi encore beaucoup à apprendre sur l'histoire des Etats-Unis, et sur la question raciale qui, en dépit de l'élection d'Obama, reste une réalité sociologique troublante dans ce pays fascinant. L'école l'aborde de diverses facons - c'est notamment au programme d'anglais de 5ème ici. En parcourant la liste de lecture de Nour, j'ai trouvé deux classiques  "A raisin in the sun" de Loraine Hansberry (une pièce de théâtre également adaptée au cinéma) et le très beau "To kill a mockingbird" de Harper Lee (aussi tourné en film). Ont alors ressurgi de vieux souvenirs de lecture d'enfance, "Black boy" de Richard Wright et "Uncle Tom's cabin" de Hariet Beecher Stowe, qui m'avaient fortement émue par la brusque découverte de l'esclavage et de l'avilissement- les lecons d'histoire sur l'horreur des camps de concentration nazis sont venus ensuite-  ou lectures d'adolescence comme celle de la très populaire  saga "Roots" d'Alex Haley (Racines en francais), dévorée un été chez Bonpa et Bonnemame à Arthel. Et je me dis qu'il ne serait pas inutile d'aller voir de plus près ce que sont les "Twelve tribes of Hattie" de Ayana Mathis, dont Oprah justement chante les louanges, ou "The warmth of other suns" d'Isabel Wilkerson, dont la presse avait parlé l'an dernier. Plus sérieusement, je pourrais me replonger dans "beloved" de Toni Morrison, et lire son livre le plus récent, "Home", que le New York Times donne envie de découvrir (http://www.nytimes.com/2012/05/20/books/review/home-a-novel-by-toni-morrison.html?pagewanted=all). Enfin, pour me ressourcer alors que je considère l'abysse du Proche-Orient et notre impuissance collective à apporter des solutions, il suffit tout simplement, sans fausse naiveté, de relire Martin Luther King Jr, auquel les Etats-Unis dédient chaque année le 3ème lundi de janvier et que Joëlle a tellement raison d'aimer...




"I accept this award today with an abiding faith in America and an audacious faith in the future of mankind. I refuse to accept despair as the final response to the ambiguities of history. I refuse to accept the idea that the "isness" of man's present nature makes him morally incapable of reaching up for the eternal "oughtness" that forever confronts him. I refuse to accept the idea that man is mere flotsom and jetsom in the river of life, unable to influence the unfolding events which surround him. I refuse to accept the view that mankind is so tragically bound to the starless midnight of racism and war that the bright daybreak of peace and brotherhood can never become a reality.
I refuse to accept the cynical notion that nation after nation must spiral down a militaristic stairway into the hell of thermonuclear destruction. I believe that unarmed truth and unconditional love will have the final word in reality. This is why right temporarily defeated is stronger than evil triumphant. I believe that even amid today's mortar bursts and whining bullets, there is still hope for a brighter tomorrow. I believe that wounded justice, lying prostrate on the blood-flowing streets of our nations, can be lifted from this dust of shame to reign supreme among the children of men. I have the audacity to believe that peoples everywhere can have three meals a day for their bodies, education and culture for their minds, and dignity, equality and freedom for their spirits." Martin Luther King Jr, Nobel Prize acceptance speech.
http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/peace/laureates/1964/king-acceptance_en.html
http://mlkday.gov/index.php

mardi 1 janvier 2013

1er janvier 2013


Première nuit de 2013, premier matin, et au réveil, bousculant mes plans et mes aspirations, ni sérénité ni plénitude, c’est l’inquiétude que je trouve pour m’accueillir dans cette nouvelle année. Passé un premier mouvement de déception et de rejet, je me ravise. L’inquiétude pourrait- elle être bonne?  Plutôt que de m’ arc- bouter contre l’émotion qui m’ habite, je pourrais la prendre pour guide temporaire. Il y a après tout de quoi être inquiète. 2013 verra- t- elle la fin de la guerre en Syrie? La réalisation d’ un état palestinien indépendant et souverain? Le triomphe de la démocratie contre les tentations du despotisme quel qu’il soit? Une vraie législation anti- armes à feu aux États- Unis? Sans parler des luttes plus secrètes, qui se livrent en moi, et qui me laissent sur le qui-vive, dans l’aspiration d’un dépassement. Meilleurs voeux d’inquiétude, ou plutôt, d’intranquillité...sur laquelle Fernando Pessoa et d’autres ont écrit de bien belles pages, dont vous trouverez quelques extraits ci-dessous.



“J'ai duré des heures ignorées, des moments successifs sans lien entre eux, au cours de la promenade que j'ai faite une nuit, au bord de la mer, sur un rivage solitaire. Toutes les pensées qui ont fait vivre des hommes, toutes les émotions que les hommes ont cessé de vivre, sont passées par mon esprit, tel un résumé obscur de l'histoire, au cours de cette méditation cheminant au bord de la mer. J'ai souffert en moi-même, avec moi-même, les aspirations de toutes les époques révolues, et ce sont les angoisses de tous les temps qui ont, avec moi, longé le bord sonore de l'océan. Ce que les hommes ont voulu sans le réaliser, ce qu'ils ont tué en le réalisant, ce que les âmes ont été et que nul n'a jamais dit - c'est de tout cela que s'est formée la conscience sensible avec laquelle j'ai marché, cette nuit- là, au bord de la mer. Et ce qui a surpris chacun des amants chez l'autre amant, ce que la femme a toujours caché à ce mari auquel elle appartient, ce que la mère pense de l'enfant qu'elle n'a jamais eu, ce qui n'a eu de forme que dans un sourire ou une occasion, à peine esquissée, un moment qui ne fut pas ce moment- ci, une émotion qui a manqué en cet instant- là - tout cela, durant ma promenade au bord de la mer, a marché à mes côtés et s'en est revenu avec moi, et les vagues torsadaient d'un mouvement grandiose l'accompagnement grâce auquel je dormais tout cela.
Nous sommes qui nous ne sommes pas....” 

 
Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillite.


“Oui un chant monte dans la nuit
Je n’en sais le pourquoi
N’en connais les paroles.
C’est un chant délivre
De tout ce que le chant possède.
Ce n’est que le chant de quelqu’un.
Il monte dans la nuit indépendant
de ce qu’il dit plus ou moins bien.
Il monte absurde et naturel
Je ne me souviens plus que je pense. J’écoute:
C’est un chant qui plan et qui plane
Comme vent sur la mer”
 

Fernando Pessoa, Cancioneiro

Retour.
L' Asie, maintenant loin, revient, me submer-
geant par moments, par longs moments.
Les pays où a compté souverainement «La
Paix Profonde» ne m'ont pas quitté. Envahisse-
ment profond. Envahissement-retard. Résur-
gence.
Pays rappelant période.
Dans mon enfance, sans comprendre, sans
communiquer, distant, je considérais les gensautour de moi, leur agitation dénuée de sens,
leur intranquillité.
En moi paix, détachement étaient combat-
tus. Enfant en Occident.

Henri Michaux, Emergences-Resurgences



Et dans un tout autre registre, Soren Kierkegaard:


Great Companion, You have loved us first
May we never forget that You are love,
So that this sure conviction might triumph in our hearts
Over the whirling of the world,
Over the inquietude of the soul
 Over the anxiety for the future,
 Over the fright of the past,
Over the distress of the moment.
May this conviction discipline our soul
So that our hearts might remain faithful and sincere
In the love which we bear to all those we love as ourselves.